
Édouard III, pour nous Français, est le Roi d’Angleterre qui démarra la guerre de cent ans car il n’acceptait pas la décision des nobles français d’appliquer la loi salique, l’écartant ainsi du trône de France dont il aurait dû hériter par sa mère Isabelle, fille et dernière héritière de Philippe Le Bel. C’est aussi le héros de l’épisode des Bourgeois de Calais. Pour les Anglais, c’est le vainqueur des batailles de Crécy et de Poitiers, où la supériorité numérique des Français aurait dû leur permettre de triompher, et c’est aussi le fondateur de l’Ordre de la Jarretière.
Édouard III est une pièce oubliée de Shakespeare, imprimée en 1596, puis retirée avant d’être rajoutée puis retirée plusieurs fois de l’intégrale des œuvres du grand Will. Elle a été ajoutée définitivement il y a quelques années et les experts estiment qu’elle est à 70% l’œuvre de Shakespeare. Elle n’a jamais été jouée en France.
Cédric Gourmelon, le directeur de la Comédie de Béthune, nous permet de la découvrir et c’est un coup de maître. La pièce raconte les principaux épisodes de la vie du Roi. Dans un style qui va du romantique au grave et à l’épique, frôlant même parfois le loufoque, on s’engage dans une sorte de roman de chevalerie. On est pris dans le dilemme moral d’un roi fou d’un amour sans issue avant de s’enfoncer dans des scènes de bataille pleines de bruit et de fureur à l’issue douteuse. Si elles sont moins présentes, les femmes apparaissent fortes, usant de leur intelligence pour sauver leur honneur et encourager la trêve dans les combats.
Dans sa mise en scène Cédric Gourmelon est fidèle au texte et se place dans la tradition du théâtre élisabéthain, plein d’inventions qui ouvrent l’imagination du spectateur. Devant un mur de bois clair les comédiens face au public exposent clairement les enjeux du conflit entre la France et l’Angleterre. C’est en haut de ce mur qu’apparaît la Comtesse de Salisbury prisonnière des Écossais que le roi va délivrer et c’est, dans cet espace clos, que va exploser la folie amoureuse du Roi. On passe du comique, avec ce roi en chemise plein d’un désir qui conduit ses mains vers son sexe, à l’intensité des affrontements moraux, le père face à sa fille, un roi fou de désir face à une femme qui trouve les stratégies pour lui résister. Quand le roi se réveillera de ce songe insensé place aux combats. Le mur de bois clair s’ouvre et, magie du théâtre, on voit s’affronter des centaines de combattants dans la poussière, le brouillard et le bruit des canons et des machines hérissées de bâtons s’avancent comme les chevaliers munis de lances dans les tableaux de Paolo Ucello. Deux chansons chantées en chœur par les comédiens et comédiennes apportent un moment de respiration. Comme la pièce de Shakespeare n’est pas tendre pour les ennemis d’Édouard, le metteur en scène a joué sur les costumes. Tandis que lui et son fils apparaissent en guerriers vêtus de noir ou d’une armure, les Français, le Roi Jean et son fils Charles, apparaissent en habits de cour festoyant avec arrogance en observant les combats, qu’ils pensent gagnés d’avance. L’humour est là aussi avec l’apparition en capes imperméables de pluie des gueux chassés de Calais qu’Édouard va recueillir et celle des bourgeois de Calais, corde au cou mais en slips de bain.
Enfin Cédric Gourmelon a réussi un magnifique travail de troupe. Dix comédiens, d’âges et d’origines diverses incarnent la cinquantaine de personnages. Tous sont très convaincants (Zakary Bairi, Laurent Barbot, Jessim Belfar, Vladislav Botnaru, Guillaume Cantillon, Victor Hugo Dos Santos Pereira, Vincent Guédon, Manon Guilluy, Fanny Kervarec, Christophe Ratandra). On retient particulièrement Vincent Guédon, qui incarne magnifiquement Édouard III. Il passe de la fougue de la jeunesse du Roi au chef de guerre gagnant en sagesse, soucieux de transmettre à son fils le Prince Noir les valeurs de la chevalerie. Face à lui Guillaume Cantillon campe un Roi Jean de France, à la suffisance étonnante accompagné par Manon Guilluy qui incarne son fils Charles. Enfin parmi les très jeunes acteurs on note Zachary Baidi, Prince noir plein de fougue et Fanny Kervarec Comtesse de Salisbury forte, déterminée à défendre son honneur avec intelligence.
Un texte oublié, une mise en scène très réussie et de très bons acteurs Tout est là pour faire de cet Édouard III une découverte magnifique.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 9 octobre à la Comédie de Béthune, 138 rue du 11 Novembre, 62400 Béthune – le lundi 6 et mercredi 8 à 20h, le mardi 7 et le jeudi 9 à 18h30 – Réservations : 03 21 63 29 19 ou billetterie@comediedebethune.org – en tournée ensuite : du 14 au 18 octobre au Théâtre du Nord à Lille, le 13 novembre au Théâtre de Chartres, du 25 au 27 novembre au Théâtre Olympia de Tours, du 2 au 4 décembre à La Comédie de Reims, du 7 au 9 janvier au Théâtre des 13 vents à Montpellier, du 22 janvier au 22 février au Théâtre de la Tempête, La Cartoucherie, à Paris
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