Et si nous avions à choisir : soit il n’y a pas d’amour heureux soit il n’y a pas d’amour du tout ? …amour du tout. C’est un peu ou beaucoup le questionnement d’Écho, un théâtre chevelu et échevelé. Une performance décoiffante sur la romance d’Écho et Narcisse, figures mythologiques pouvant s’incarner en n’importe qui, pouvant également être subverties, « transphormées » ou « perphormées ». Une pièce baroque qui invite à aller vers deux au-delàs, celui de la souffrance d’amour et celui de la division des genres …vision des genres. 

Vanasay Khamphommala, performeur et poète corporel s’empare d’Ovide et le métamorphose en un drame symbolique. Il incarne nu le malheur d’amour d’Écho qui aime Narcisse lequel ne voit que lui-même …lui m’aime ?  Écho retranchée dans une solitude sylvestre se meurt d’amour ou plutôt d’anamour…anal amour. Elle cesse de se nourrir, son corps dépérit et devient un Lapsus Chevelü que Vanasay incarne au poil près. Bientôt, il ne reste plus d’elle que sa voix qui répète à jamais les derniers mots des paroles des amants sans pouvoir dire son propre amour plaintif… tifs. La compagnie de Vanasay Khamphommala, Lapsus Chevelü, porte bien son « Non ! ». Dans l’acte manqué-réussi d’une chevelure féminine devenant couvrant un maigre corps masculin comme un rideau de pudeur, il s’accomplit une révélation qui nous dit que peu importe le genre, l’amour n’en a pas et la souffrance d’amour encore moins …corps moins.  

Amoureuse d’un jardinier qui ne voit que ses fleurs, narcisses ou autres, Écho-Vanasay s’abandonne à la plainte amoureuse. Elle concrétise devant nous sa peine par des douleurs volontaires et silencieuses qui associent comme il se doit le sexe et le cœur. Elle en meurt sans pouvoir être délivrée. « Je suis morte de n’avoir pas pu dire mon amour. » Puisqu’elle meurt, il faut donc l’ensevelir, l’enterrer sur scène, ce qui sera fait à grandes pelletées par ses acolytes Caritia Abell, Natalie Dessay et Pierre-François Doireau. Mais l’ordinateur de Gérald Kurdian continue l’histoire. Sur scène le dérèglement romantique s’accélère guidé par l’imagination de Caroline Oriot qui signe une scénographie audacieuse, à la mesure de la proposition iconoclaste d’Écho. Sur une toile en fond de plateau, des images non pas de choses, une Écho graphie psychique de mots qui s’écrivant en direct, récit d’une machine à paroles vidéosées …osez ! 

Métamorphoser les Métamorphoses, évider Ovide. Purger le mythe en le poussant au bout de sa logique pour mettre fin à la malédiction d’Écho, au malheur d’aimer sans retour. Maladie nous guette tous, nous qui risquons de voir en quiconque l’objet du désir malheureux comme l’écrit la machine à mots en citant Racine dans une formule de Phèdre regenrée :  « Que dis-je ? Elle n’est pas morte puisqu’elle respire en vous. ». Comment donc délivrer Écho sans Deliveroo qui livre du « à réchauffer » …chauffer aux ondes ? En délivrant l’amour lui-même, en osant en faire un Déjeuner sur l’herbe ou pourquoi pas un joyeux pique-nique ! « Love is a picnic ». Perdition, réparation, résurrection …érection. Alors Écho renaitrait sans répétition pathologique …logique. Alors le lapsus chevelü cesserait d’être un accident dans la chaine signifiante du désir pour devenir son étoffe …sans voix off.  

Le spectacle de Vanasay Khamphommala, auteure, metteuse en scène et interprète très performante est d’une grande justesse et force poétique. C’est aussi une œuvre politique car une libération de l’amour plus encore que la libération sexuelle affecterait les normes de l’ordre social, lequel se nourrit d’une mythologie de l’amour-fidélité, de l’amour-service, de l’amour-souffrance appliquée à divers domaines, famille, travail, patrie, pouvoir, etc… tes rats.

Superbe spectacle baroque, en se souvenant que le baroque est du classicisme subverti, rendu fou par un excès d’ornementation. Dans le baroquisme de Vanasay Khamphommala se dégage une vraie esthétique classique présente par exemple dans la posture d’Écho, immobile dans sa nudité pudique à l’image de la Vénus de Botticelli. Et l’on pourrait y trouver maints autres aspects classico-baroques …rock. Autre exemple : la fameuse règle des trois unités du théâtre classique. Celui contemporain s’en est affranchi mais Écho la respecte en la déjouant. Un même temps : les quatre-vingt-dix minutes de la performance théâtrale, comme un happening, un événement ; un même lieu : le plateau et tout ce qui s’y passe de surprises et d’excès dramatiques ; une même action : interroger mal d’aimer dans une perspective post-genres et dans la dynamique d’une révolution esthétique au sens grec « de la sensibilité ». Dernière indication du classicisme revisité de Vanasay Khamphommala : Écho est le quatrième opus d’une tétralogie comprenant Vénus et Adonis (2015), Orphée Aphone (2019) et Le Bain de Diane (2020).

Si jamais vous parvient cet écho de ce qui se passe sur les Plateaux Sauvages et sous l’inspiration folle et pertinente de Vanasay Khamphommala, n’ayez pas peur de répondre à l’appel et de vous y rendre !

Jean-Pierre Haddad

Les Plateaux Sauvages,5 rue des Plâtrières, 75020 Paris. Du 19 au 24 septembre. Tournée 2022-2023 à venir  

À partir de 16 ans. Avertissement : La performance comporte de la nudité et des actions susceptibles de heurter la sensibilité de certains publics.


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