Au sortir de la guerre de 1914-1918, c’est un Don Juan fatigué et malade qui part sur les routes, dans une Allemagne ruinée et détruite, à la recherche de la fiancée qu’il a jadis abandonnée pour courir les femmes et partir à la guerre. Il lui a écrit, mais n’a jamais eu de réponse, car la jeune fille est morte folle deux ans auparavant. Seule sa grand-mère a lu ces lettres. Recueilli par des prostituées puis par des religieuses, Don Juan écrit et attend vainement une réponse. Alors, par résignation ou par cynisme, ne pouvant échapper à lui-même, contraint à travailler par l’inflation galopante, il se fait marchand d’art et reprend son ancienne vie de séducteur, jusqu’au moment où ses pas le conduiront au cimetière où il rejoindra sa fiancée dans la mort.

Théâtre : Dom Juan revient de la guerre
Théâtre : Dom Juan revient de la guerre

De cette pièce écrite par Ödön von Horváth en 1936, deux ans avant son départ de Vienne après l’entrée des nazis dans la ville et sa mort à Paris, tué accidentellement par la chute d’une branche lors d’une tempête, Guy-Pierre Couleau propose une mise en scène qui émeut par sa simplicité. Pratiquement pas de décor, des scènes brèves, très visuelles situées dans le temps ou dans l’espace par une indication en lettres blanches dans un coin de la scène. Un climat crépusculaire à l’image de cette pièce désenchantée où le monde change, où l’argent devient roi et où il n’y a plus d’idéal. C’est Nils Öhlund qui incarne Don Juan. Véritable énigme, ce qui le rend encore plus séduisant, pour les femmes qu’il séduit et qu’il abandonne, il donne au personnage toute sa complexité. Surtout la très bonne idée de Guy-Pierre Couleau, c’est d’avoir fait interpréter par deux actrices seulement, Carolina Pecheny et Jessica Vedel, les trente-cinq personnages féminins de la pièce. Dans la pièce de Ödön von Horváth, toutes ces femmes ne sont pas décrites, mais font nombre. Elles incarnent des types humains, la tragique, la bonne, la rebelle, la passionnée, la toute jeune fille. Elles sont veuves, actrices, spectatrices à l’Opéra, toute jeune patineuse. Elles disent « Nous lui rappelons toutes une certaine femme. Il se bricole son grand amour par petits morceaux ». Les deux actrices incarnent avec finesse ces femmes qui se laissent séduire mais ne se font pas d’illusions. Elles reconnaissent en Don Juan un homme qui, à chaque fois, tombe amoureux d’une femme dans laquelle il croit reconnaître sa fiancée ou plutôt un idéal féminin, mais qui une fois l’illusion évanouie, n’aime plus. Elles sont lucides aussi, constatant « le plus affreux, c’est que nous nous rabaissons nous-mêmes ». Et à la fin, lorsque la pièce se clôt sur Don Juan enlacé à la pierre tombale, ce sont les femmes qui projettent sur lui la neige qui le recouvre peu à peu. C’est très beau !

Micheline Rousselet

Lundi, mercredi et vendredi à 20h30, mardi et samedi à 19h, dimanche à 17h, relâche le jeudi
Théâtre de L’Atalante
10 Place Charles Dullin, 75018 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 46 06 11 90


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