
Cent ans après la mort de Tchekhov, Rebekka Kricheldorf, la dramaturge allemande se lance dans une variation sur l’une de ses pièces les plus célèbres. Elle en garde les thèmes les plus chers à l’auteur, l’ennui, le travail et les amours ratés, les désillusions, le temps qui passe et détruit les rêves. Mais elle place les trois sœurs dans la société contemporaine, philosophant à grand renfort de propos acides, ironiques et sans illusion. Irina fête ses 28 ans, ses 29 ans puis ses 30 ans. La fête est toujours ratée et elle continue à se chercher passant d’études de philosophie, à la sociologie qu’elle délaisse à son tour pour se tourner vers la biologie. Olga travaille mais cultive son insatisfaction en la noyant trop souvent dans l’alcool. Macha méprise la femme vulgaire qu’a épousé leur frère Andreï et tente de se consoler d’un mari qui la déçoit avec Georg, un ami de la famille.
Pour dresser ce portrait d’une société décadente où les ambitions se sont perdues et n’ont laissé place qu’à l’ennui, au renoncement et aux rancœurs mesquines, Rebekka Kricheldorf adopte un ton grinçant, caustique, mordant et souvent très drôle. Mais on regrette l’humanisme de Tchekhov qui donnait à la pièce plus de complexité.
Le metteur en scène Marcial Di Fonzo Bo semble l’avoir senti puisqu’il ajoute quelques passages du texte de Tchekhov qui sonnent à la fin comme une petite lueur d’espoir. Il a confié la scénographie à Catherine Rankl qui place la pièce dans un univers froid, blanc comme une salle de musée, presqu’hostile. Il a surtout confié le rôle des sœurs à trois artistes formidables. Elsa Guedj est Macha, la plus insatisfaite, celle qui cherche à échapper à sa vie de femme mal mariée par une liaison sans illusion avec Georg, l’ami de la famille, époux d’une femme dépressive et suicidaire (Rodolphe Congé en alternance avec Jean-Christophe Folly). Elle est aussi la plus caustique, méprisant ostensiblement la femme d’un milieu inférieur qu’a épousé son frère (Alexandre Steiger) champion de la procrastination. Face aux trois sœurs Juliet Doucet interprète avec talent cette femme avec ses tenues vulgaires et ses préoccupations triviales. Camille Rutherford campe une Irina passant d’un vague enthousiasme pour quelque chose de nouveau à la désillusion. Surtout il y a Marie-Sophie Ferdane, Olga élégante dans son mal de vivre, même lorsque, ivre, elle titube. Elle est poignante, lumineuse ou désespérée, toujours prodigieuse. Rien que pour ces trois actrices, il faut courir voir Dolorosa.
Micheline Rousselet
Jusqu’au 15 Mars au Théâtre du Rond-Point, 2bis, avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – du mardi au vendredi à 20h30, le samedi à 19h30, le dimanche à 15h – Réservations : 01 44 95 98 21 ou theatredurondpoint.fr – Tournée : du 19 au 27 mars 2025 au TNB à Rennes, du 24 au 30 novembre 2025 à la Comédie de Caen, CDN de Normandie, du 15 au 21 décembre 2025 au Volcan, Scène Nationale du Havre
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