Une mère divorcée et son fils attachés l’un à l’autre. Il a passé l’âge de l’adolescence mais habite toujours avec elle, sème ses disques dans sa chambre et ne travaille pas. Elle voudrait qu’il se mette au travail, d’autant plus qu’elle est sur le point de perdre son emploi supprimé par le progrès technique. Mais quand il trouve un emploi d’ouvrier à la chaîne, elle souhaiterait qu’il en trouve un plus épanouissant, elle rêve qu’il écrive un livre. Lui voudrait qu’elle ne renonce pas à avoir une vie de femme, « qu’elle se trouve quelqu’un ». Il lui dit qu’elle est belle, l’emmène au cinéma. Ils se parlent, se disent leurs peurs, leurs doutes, leurs joies. Ils se chamaillent aussi. Elle s’inquiète un peu de ses amis mais il a ses secrets.

À travers leur histoire, Michel Vinaver semble raconter une « relation et un âge de la vie universels ». La séparation de la mère et du fils est inéluctable, mais elle s’inscrit dans le contexte d’une époque. C’est cela qui fait de cette histoire, qui pourrait n’être faite que d’échanges quotidiens entre une mère et son fils, une tragédie qui se situe à un moment de l’Histoire. Michel Vinaver écrit cette pièce en 1976. La crise a démarré en 1973 signant la fin des Trente Glorieuses, le chômage augmente, les graines de la révolte de 1968, avec la remise en cause du travail aliénant en usine, sont encore fertiles. 1976, c’est aussi deux années après la condamnation de Pierre Goldman pour des braquages de pharmacie en 1969, qui avaient fait deux morts et deux blessés. Tout l’art du dramaturge est à l’œuvre dans cette courte pièce. De ses dialogues il dit « Une réplique d’un personnage, qui n’est pas du tout en situation dramatique par rapport au personnage dont la réplique précède, va pourtant influer sur la situation dramatique. Il y a là comme un phénomène de fusion métallurgique ». Sans chercher à démontrer, tout en finesse, il dépasse le quotidien et la psychologie pour passer à la dimension politique.

Pour sa première mise en scène Hugo Givort réussit un coup de maître. On démarre avec une vidéo de Michel Vinaver parlant de ce qu’il veut faire au théâtre : apporter un peu de bousculade, en partant de l’aléatoire poser des repères, d’où sortiront des bouts de sens de façon discontinue et plurielle. Pour sa scénographie Hugo Givort place mère et fils dans un petit appartement, la cuisine en formica, la chambre du jeune homme emplie de disques dont il jette les pochettes par terre dans le désordre dont les adolescents ont le secret. Aux dialogues, le metteur en scène mêle par touches délicates des chansons, Quand on arrive en ville de Daniel Balavoine ou Maggie M’Gill des Doors, et des images. À la télévision, on voit un extrait des Temps modernes de Charlie Chaplin et des images de grève chez Talbot. On entend la voix de Christine Ockrent présentant les informations, mais à l’écran le présentateur est remplacé par un Play mobil !

Les deux comédiens sont excellents. Julie d’Aleazzo est cette mère en symbiose avec son fils, résignée à la perte de son emploi, qui se débrouille sans se plaindre avec ses problèmes d’argent et s’inquiète pour son fils que joue Pablo Cherrey-Iturralde. Lui est ce jeune homme attaché à sa mère qu’il ne peut se décider à quitter, qui rejette son père trop bourgeois, qui a quitté sa mère pour une plus jeune femme. On le sent dans la révolte mais c’est par petites touches que ses secrets vont se dévoiler.

De leurs échanges et de leur quotidien, sans démonstration, naît une tragédie d’aujourd’hui.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 31 mai à l’Artistic Théâtre, 45 rue Richard Lenoir, 75011 Paris – mardi, jeudi et vendredi à 19h, mercredi à 20h, samedi et dimanche à 15h – Réservations : 01 43 56 38 32 ou www.artistictheatre.com


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