Clément Bondu, écrivain, poète, musicien et metteur en scène en résidence aux Plateaux Sauvages signe le texte et la mise en scène de ce spectacle dont il nourrissait le projet depuis plusieurs années et qu’il a retravaillé avec les élèves de la promotion 2019 de l’ESAD (École Supérieure d’Art Dramatique). La pièce, coproduite par Les Plateaux Sauvages et l’ESAD, est dédiée aux héros ratés du XIXème siècle, à leur échec et leurs amours mortes et c’est dans les textes que Clément Bondu va chercher ces héros qui sombrent dans le tragique, L’idiot de Dostoïevski, le Hamlet réécrit par Heiner Muller et Baal de Brecht. Ces figures entrent en résonance avec les tragédies du XXème et du début du XXIème siècle, le colonialisme, les guerres, la montée du nationalisme et des populismes. Face à l’échec des modèles, des héros et des idéologies, il propose à ses jeunes acteurs de s’interroger sur la possibilité d’un rituel théâtral contemporain.
La référence au théâtre grec s’instaure d’emblée avec un long prologue où un coryphée, en costume de Monsieur Loyal apostrophe le public en l’invitant à aller chercher dans le théâtre et la poésie une ouverture sur l’imaginaire, un appel à sortir du cadre. Plus tard on verra le visage de Pasolini qui lui aussi croit en la puissance de la parole et de l’imagination dans l’œuvre théâtrale. Les quatorze jeunes acteurs vont nous entraîner d’un répertoire à l’autre, d’un personnage à l’autre, de l’Idiot qui observe passivement le monde violent et corrompu qui l’entoure sous le regard exaspéré de celle qu’il aime, à Hamlet mystérieux, insaisissable et fasciné par la mort et à Ophélia qui effeuille les fleurs et se suicide.
Sur fond d’images d’archives qui vont de la dernière guerre mondiale aux bateaux d’immigrants échoués et portant la mort, on entend la voix de Léo Ferré chantant en italien ou le discours d’un parti nationaliste et populiste appelant, avec force drapeaux, à travailler pour l’ordre et le progrès. Surtout il y a l’omniprésence de la mort, un squelette qui apparaît au bras de l’un ou de l’autre ou dessiné sur le dos d’un des acteurs. On n’est donc pas surpris de l’apothéose qui sera la grande Fête des Morts mexicaine où la lumière s’attarde sur les costumes chamarrés. Finalement dans ce monde où règne violence et confusion à quel Dieu, à quel poète, à quel théâtre se confier ?
Même si ce portrait d’une génération aux prises avec son héritage et ses inquiétudes sur l’avenir apparaît comme un patchwork assez confus, on retiendra la beauté de la scénographie et des lumières et surtout l’énergie de ces jeunes acteurs représentatifs de la diversité et unis autour d’un projet où l’humour et la rage de jouer explose.
Micheline Rousselet
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