Depuis 2014, Marie-José Malis, la directrice du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers confie à des artistes, metteurs en scène ou danseurs, la commande de partir à la rencontre des habitants de la ville pour mettre en scène leur vie, leurs désirs, leurs interrogations et de les faire éventuellement monter sur la scène. Avec ces Pièces d’actualité , le théâtre retrouve sa fonction d’agora.

La jeune metteuse en scène Julie Berès s’est vu confier une de ces Pièces d’actualité en 2017. Sur la question « Doit-on désobéir pour vivre ? » elle a sondé les rêves et les révoltes de jeunes femmes du 93, ce département si décrié. Elle en a retenu quatre, issues de la première, deuxième ou troisième génération de l’immigration, venues de Turquie, d’Iran, du Maroc. Deux prenaient la parole pour la première fois en public lors de la création, une sortait d’une école de théâtre et une avait fait du théâtre à l’Université. Toutes les quatre se débattent avec leurs désirs immenses et leurs désillusions, se débrouillent entre refus du poids des traditions et désir d’être fidèle à leur héritage culturel, parlent de leur rapport à la religion, à la famille, à l’amour, au sexe, à la justice, au racisme et à la violence.

Théâtre : Desobeir
Théâtre : Desobeir

Il a fallu tailler dans leurs propos, réagencer mais Julie Berès souhaitait conserver leurs mots, parfois crus, et leur spontanéité. Elle a été aidée par son dramaturge Kevin Keiss et par Alice Zeniter, Prix Goncourt des lycéens en 2017 avec L’art de perdre.

Ces quatre jeunes femmes ont dit un jour non, non au dévoiement de la religion par l’islamisme radical, non à l’éducation, qui ne laisse pas de place aux chemins de traverse, non au sexisme et au patriarcat. Sur ces sujets graves, leur fraîcheur et leur gouaille font merveille. Quand l’une d’elles inverse les rôles habituels et parle en termes crus du désir que la vue d’un bel homme exciterait chez les femmes et lui crie d’aller se couvrir, se voiler, la salle entre complètement dans le jeu. Rires et applaudissements éclatent. Leurs propos ne sont pas caricaturaux. La jeune black, à qui un metteur en scène dans l’enthousiasme d’un premier contact avait envisagé de confier le rôle d’Agnès dans L’école des femmes , est lucide mais pas amère sur l’échec de la proposition. On passe de Molière aux préférences sexuelles et de celles-ci à la dot. Sur chaque sujet leur approche est intéressante. A un imam qui défend la tradition et affirme que les parents de la jeune fille doivent payer une dot, même symbolique, dix euros par exemple, répond la révolte de la fille « je ne vaux pas plus qu’un kebab ?»

Monologues et moments choraux se succèdent à un rythme rapide où la chorégraphie joue un rôle essentiel. Que les quatre marchent avec détermination ou qu’assise sur une chaise l’une d’elles explique comment la déception amoureuse l’a fait échapper à un embrigadement dans l’islam radical, le travail sur le corps importe beaucoup. Celui réalisé avec la chorégraphe Jessica Noita enrichit la parole, permet d’incarner la colère, l’impatience, la rage, le désir sexuel et ajoute même de l’humour parfois. Il faut les voir parlant de l’oppression des femmes en dansant des épaules sans cesser de parler.

Les actrices (Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Hatice Ozer et Séphora Pondi) sont étonnantes, particulièrement Séphora Pondi qui avec un talent comique exceptionnel passe de la confidence à l’interpellation du public avec une tchatche très banlieusarde.

Lorsqu’on sort de la salle on sait que l’on a entendu des filles qui ne s’en laissent pas conter, des filles prêtes à défendre leurs idées en utilisant tous les arguments y compris l’humour, des victorieuses.

Micheline Rousselet

Lundi, mardi, vendredi 20h, jeudi, samedi 19h

Théâtre de la Cité Internationale

17 boulevard Jourdan, 75014 Paris

Réservations : 01 43 13 50 50

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