Ces hommes, on les a sûrement croisés, sans rien savoir d’eux. Ils n’ont rien d’exceptionnel, l’un est chômeur et rêve d’écrire pour le Reader’s Digest, un autre travaille pour une plate-forme pétrolière, l’un est le patron d’une petite scierie, l’autre est livreur et le dernier est aide-soignant. Ces hommes ont quelque chose en commun. Ils ont perdu une compagne ou un enfant, un être cher qui est mort ou qu’ils n’ont pas su ou pas pu retenir. Ils parlent, nous racontent leur histoire et entre les mots sourd la douleur de la perte.
Le metteur en scène Emmanuel Meirieu, qui a adapté avec succès cet hiver Mon traître de Sorj Chalandon, aime un théâtre où les histoires individuelles font jaillir la puissance des émotions, celles que l’on ne clame pas si facilement. Du recueil de nouvelles du jeune auteur américain Bruce Machart, il a retenu cinq destins marqués par le deuil, la rupture ou l’abandon.
Cinq hommes viennent à tour de rôle au micro dire leur histoire, la fatalité qui les a frappés, leur regret de n’avoir pu éviter le pire, leur douleur. Leur image filmée par une caméra est projetée en très gros plan sur un fond flou où apparaissent, comme filtrées par la mémoire, des images de leur vie d’antan, la lumière des phares d’une voiture roulant sur une autoroute, un enfant sur un vélo, un chariot d’hôpital, des grands arbres. Les acteurs sont tous très justes. On retiendra particulièrement Xavier Gallais, Jérôme Kircher et Jérôme Derre. Le premier campe un looser, qui brusquement s’échappe d’un monde où l’on enfile des bières l’une derrière l’autre, pour devenir un homme capable de pitié et d’empathie avec un inconnu dont son ami et lui viennent d’écraser le chien. Le second est un aide-soignant dont la douleur personnelle est chaque jour redoublée par la souffrance des malades dont il s’occupe. Le troisième a la parole hésitante, le regard blessé de celui qui a vu une mort horrible. Il y a enfin celui qui ne parlera pas mais se lancera dans le déchirant « e lucevan le stelle » le sublime air de Tosca : « je meurs désespéré et je n’ai jamais autant aimé la vie ».
Ces hommes, qui osent dire leur chagrin face au manque, mettant à nu leur pauvre condition d’humain, bouleversent les spectateurs et celui qui s’approche à la fin au point de paraître entrer dans le premier rang des spectateurs, rencontre leurs larmes.
Micheline Rousselet
Du mardi au jeudi à 20h, le vendredi à 19h, le samedi à 20h, le dimanche à 16h. Relâche les 29 mai et 5 et 6 juin
Théâtre Paris-Villette
211 avenue Jean Jaurès, 75019 Paris
Réservations : 01 40 03 72 23
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