Tandis que le théâtre de la Tempête se remplit, des vidéos sur les côtés de la salle exposent sans fard l’élevage industriel des poulets et toutes les faces du travail dans la chaîne alimentaire de la volaille. Sur le plateau s’avancent un homme et une femme. Elle est conseillère au Ministère, il est Secrétaire d’État et a choisi de venir, sans escorte policière, rencontrer les salariés en grève d’une usine leader dans l’exportation de volailles et de produits élaborés à base de volailles, au bord de la cessation de paiement. Le Secrétaire d’État parle mondialisation et protection de l’environnement, suggère une réorientation complète avec plus tard des emplois nouveaux en petit nombre. Les salariés eux n’ont pas le temps d’attendre, ils sont dans l’angoisse des licenciements dans une région où les emplois n’abondent pas. Ils vont décider de séquestrer le Secrétaire d’État. L’usine est désormais encerclée par les gendarmes, les media accourent, la solidarité des familles et de la mairie se met en place et les salariés décident de faire une grande fête pour faire connaître leur cause et ouvrir une soupape pour évacuer la pression. Et après ?

C’est en pensant au cas du groupe Doux en Bretagne, qu’Arno Bertina a écrit le roman éponyme qu’adapte et met en scène Anne-Laure Liégeois. Doux, un des trois leaders mondiaux de ce secteur avait été contraint en 2012 de déposer le bilan, après des années de difficultés liées, entre autres, à des opérations financières hasardeuses et à une utilisation abusive et frauduleuse des subventions européennes.

La pièce aborde avec un joli sens des formules toute une série de questions toujours d’actualité. Face à une concurrence mondialisée, faut-il chercher à tout prix la baisse des coûts aux dépens des salariés, des éleveurs des pays en développement et de la santé de la planète ou chercher dans une autre direction ? Fin du mois contre fin du monde, fatigue et sens du travail, lutte des classes, légitimité de la violence dans les luttes, place des syndicats dans cette lutte, toutes ces questions que nous connaissons bien arrivent tout naturellement dans les débats. Les questions sont un peu survolées, la solution d’une coopérative ouvrière par exemple, mais grâce aux douze acteurs, tous très bons, les salariés sont là avec leur existence propre, leurs doutes, leurs soucis, leurs colères qu’ils viennent dire face aux spectateurs. Ils ne sont pas insensibles à la souffrance animale ou aux difficultés des pays en développement mais ils ne sont pas responsables des problèmes du monde et ont une urgence, garder leur emploi. Le Secrétaire d’État et la Conseillère sont de l’autre côté de la barrière mais ne sont pas des fonctionnaires sans âme. Eux aussi ont leurs interrogations et leurs doutes sur la mission qui leur est confiée. Jusqu’où sont-ils tous prêts à aller dans ce combat ?

On passe de moments tendus à des moments très drôles. Pour la kermesse un éleveur a l’idée de ravitailler l’usine assiégée en y expédiant des poulets par ballon passant au-dessus de l’autoroute et des gendarmes éberlués ! La fête où les salariés sont déguisés en poulets, où gobelets, serpentins et confettis volent tandis que monte, y compris dans la salle, la chanson On lâche rien, bien connue des manifestations, sera-t-elle la soupape attendue ou une explosion ?

Une pièce qui, en évitant tout manichéisme, encourage la réflexion. Une pièce militante aussi, mais pas seulement.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 23 avril au Théâtre de la Tempête, Cartoucherie, Route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris – du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h – Réservations : 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr

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