Ils connaissent les dangers de la traversée du désert et de la Méditerranée et pourtant ils sont des milliers à se lancer, au péril de leur vie, dans ce périple où les attendent des passeurs sans foi ni loi, prêts à les dépouiller, à les violer et à leur voler leur part d’humanité. Dans les pays dont ils rêvent, les nôtres, beaucoup ne comprennent pas. Ils ne voient pas que pour ces migrants “il faut partir pour espérer vivre”. Samia Yusuf était de ceux-là.
Jeune Somalienne, elle a voulu croire en sa passion, courir. A 17 ans, avec des chaussures deux pointures au-dessus de la sienne, elle a représenté son pays pour le 200 mètres, aux Jeux Olympiques de Pékin. Même si son score n’a pas été exceptionnel, elle a eu le bonheur de courir aux côtés des plus grands. Son retour dans un pays en proie au chaos de la guerre civile n’a pas été radieux. Les Chebabs ont eu tôt fait de lui faire comprendre qu’une femme ne devait ni jouer ni courir, qu’Allah l’interdisait. Son père avait déjà été tué dans les rues de Mogadiscio, la peur s’installait, il ne lui restait plus qu’à partir avec sa mère et ses frères et sœurs vers les camps de réfugiés d’Éthiopie. Mais peut-on abandonner tout espoir, renoncer à sa passion et à ses rêves, quand on a 18 ans ?
C’est en lisant son histoire sous la plume d’une journaliste italienne d’origine somalienne, Igiaba Scego, que Gilbert Ponté a écrit cette pièce, qu’il a aussi mise en scène. Le personnage de Samia raconte sa vie, sa passion, commente ce qu’elle a fait, prend à témoin le public. De son récit, dépourvu de pathos, ressort une rage de vivre sa passion, une envie de vivre tout court. La situation au Moyen-Orient et en Afrique subsaharienne est connue de tous. La misère, la guerre, les souffrances que des hommes infligent à d’autres hommes et encore plus aux femmes sont connues de tous. Mais en écoutant cette histoire, celle d’une jeune fille qui résiste à toutes les souffrances pour s’accrocher à sa passion, les spectateurs se laissent emporter par l’émotion.
Dans sa mise en scène Gilbert Ponté a utilisé avec bonheur la vidéo. De la mer qui semble recouvrir la scène au début, aux cendrées du stade à la fin en passant par un long travelling sur les rues d’une ville africaine, on épouse les moments de la vie de Samia.
C’est la jeune actrice et chanteuse Malyka R Johany qui incarne Samia. Elle chante d’une voix douce et l’on est auprès d’elle dans sa famille ou dans un hangar lybien où elle attend avec espoir de s’embarquer. Sa voix se fait dure quand elle est évoque le passeur brutal et cynique. Son voile devient bâche de camion ou foulard qu’une journaliste, avide de sensationnel, jette par dessus son épaule en lui demandant de “parler de son pays à feu et à sang”. En leggings noirs et tee-shirt blanc, tennis aux pieds, un bandeau blanc enserrant ses boucles noires, elle semble s’élancer en longues foulées dans une course immobile et l’on est avec elle sur le stade. Quand devenue narratrice, elle nous conte la fin de l’histoire et qu’elle se tourne vers l’écran où court la vraie Samia, on a la gorge nouée. Courez la voir, elle est magnifique !
Micheline Rousselet
Le lundi et le mardi à 19h45
Théâtre Essaïon
6 rue Pierre au Lard 75004 Paris
Réservations 01 42 78 46 42 Se réclamer du Snes et de cet article : demande de partenariat Réduc’snes en cours
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