« D’autres jours viendront. L’exil et la mémoire. Chronique théâtrale  »

Anita Vallejo avait 20 ans lorsque Salvador Allende a été élu président du Chili en novembre 1970. Le coup d’État du 11 septembre 1973 mené par Augusto Pinochet et soutenu par les États-Unis dirigé par Nixon renverse par la force le gouvernement et instaure une dictature militaire fasciste. Salvador Allende se suicide dans le palais de la Moneda, sous les bombes putschistes. S’ensuivront des milliers de disparus, de prisonniers politiques torturés, des morts et beaucoup d’exilés .

Cette fin tragique du mandat du président Allende démocratiquement élu va bouleverser la vie d’Aneta Vallejo et de sa famille contraints à l’exil en 1976. Inspiré des mémoires de sa mère et des textes du livre Archéologie d’un rêve de Luis Pradenas (acteur musicien de la troupe), Andréa Castro met en scène l’histoire de cet exil. Nous voici 50 ans après dans le théâtre El Duende que sa mère a cofondé poursuivant à Ivry le travail initié au Chili avec le Théâtre Aleph devenu alors incontournable.

Anita est installée au piano prolongé par un bureau au centre de la scène. Face à elle munie d’un cahier sa petite fille française, Alma, en quête de ses origines va recueillir son témoignage sous la forme d’une chronique musicale et théâtrale accompagnée d’images d’archives des événements chiliens et des photos de famille. Le 24 novembre 1974 alors que la famille est réunie au domicile pour fêter l’anniversaire de la grand-mère, la police politique vient arrêter Oscar Castro, le père d’Anita et Sebastian. D’autres membres de la famille seront également inquiétés et le frère d’Anita ne reviendra pas. En sept chapitres, la grand-mère va livrer à sa petite fille qui l’interroge ses souvenirs qui jaillissent entre engagements pour le théâtre, résistance et résilience.

L’espace scénique est partagé en trois. Deux espaces, à cour et à jardin, figurent la salle à manger et le salon de la maison Vaticano au Chili. C’est là qu’évoluent les huit comédiens de la troupe du théâtre El Duende. Ils retracent les moments de joie, d’insouciance et d’espérance de cette troupe du théâtre Aleph qui n’imaginait pas que le processus démocratique d’élaboration d’un socialisme à la chilienne qui a suscité tant d’espoir puisse être si violemment interrompu par la junte de Pinochet. Ils n’ont pas pris au sérieux la mise en garde des amis cubains qui par expérience savaient que le pays de l’Oncle Sam ne laisserait pas faire.

Six excellents musiciens accompagnent les chansons du répertoire chilien, celle des créations collectives du Théâtre Aleph et celles originales d’Anita Vallejo. La musique à la couleur sud- américaine nous fait partager les moments de fêtes et de tristesse, soutient jusque dans les silences la parole de la mémoire et les images d’archives projetées sur grand écran en fond de scène. C’est là la grande force de ce récit documentaire à la fois théâtral, musical et poétique, supports et acteurs du témoignage d’Anita. La complicité entre la petite fille et la grand-mère renvoie à celle des membres de la troupe d’Aleph et du théâtre El Duende empreinte de cette volonté de comprendre les événements et de transmettre les valeurs de liberté et de justice sans oubli ni pardon.

Ce spectacle vivant, pédagogique créé par trois générations de femmes d’une même lignée résonne avec l’actualité pour tous ceux que les pouvoirs autoritaires contraignent à l’exil et qui doivent se reconstruire sans oublier leurs racines. Par ses souvenirs et son engagement pour le théâtre et la musique, Anita Vallejo transmet à sa fille et sa petite-fille comme aux spectateurs de ce beau théâtre El Duende cette fibre culturelle humaniste et solidaire qui fait si peur aux dictateurs.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 15 décembre, les jeudis, vendredis et samedis à 20h30, le samedi à 17h30 – Théâtre El Duende , 23 rue Hoche, Ivry-sur-Seine ( 94) – Réservations : 01 46 71 52 29 ou théâtre-elduende.com