Un jeune homme se souvient de l’été 1936 dans la maison familiale isolée en Irlande où il vivait avec sa mère et ses quatre tantes. Michaël s’en souvient car il y eut cet été là le retour de son oncle, pasteur depuis 25 ans dans une léproserie en Ouganda, et la visite de son père, surgissant toujours à l’improviste en multipliant les promesses non tenues et qui, cette année-là, parlait de s’engager dans les Brigades internationales en Espagne. Cinq sœurs unies, mais laissées à l’écart du village, qui résistent à la solitude et à la pauvreté, avec pour seule échappée le poste de TSF Marconi, qui fonctionne quand il le veut bien, et l’espoir du bal annuel à la Lughnasa, où elles pourront peut-être rencontrer l’amour. Tandis que le monde change, que l’industrie s’installe et que les hommes fuient l’Irlande, elles restent prisonnières de leur condition, attachées les unes aux autres, à Rose qui n’est pas tout à fait comme les autres et à Michaël, conçu hors mariage dans une Irlande très catholique.
Brian Friel est considéré comme le plus grand dramaturge irlandais de la seconde moitié du XXème siècle et on l’a parfois comparé à Tchekhov. On retrouve effectivement dans la pièce un désenchantement, un spleen, le regret de ce qui n’a pas été, propre à l’auteur russe.
Gaëlle Bourgeois a placé les cinq sœurs dans un cercle, fait d’objets du quotidien – chaise, bassine, panier de pelotes de laine, poêle – qui les réunit, mais les enferme aussi. Elles s’activent, plient le linge, tricotent. Au centre le poste de radio qui leur permet de s’échapper en se lançant dans la danse. Les jambes s’agitent, les bras se lèvent, les épaules se trémoussent, les corps retrouvent leur liberté, leur jeunesse, leur élan dans cet univers si cadenassé.
Huit acteurs sont sur scène. Le monologue de Michaël (Vincent Marguet), le narrateur, alterne avec les scènes de groupe et les moments où chaque personnage se raconte ou dialogue avec un autre. Lorsque l’envie de s’échapper l’emporte, la danse prend le relais, évoquant tantôt la tradition irlandaise, tantôt la comédie musicale. Aux côtés de Bruno Forget qui incarne le frère Jack qui a un peu perdu la tête en Ouganda et de Nicolas Bresteau qui donne à Gerry le père de Michaël la légèreté charmeuse du séducteur totalement irresponsable, les actrices excellent à donner à chacune des sœurs sa personnalité. Céline Perra est Kate, l’institutrice raisonnable, l’aînée qui conduit la vie de la maison, Pauline Gardel est Christina, la mère de Michaël, toujours amoureuse de ce vaurien de Gerry, Jennifer Rihouey est Agnès, probablement elle aussi amoureuse de Gerry, mais plus désabusée et Emilie Chesnais est Maggie, moqueuse et sans illusion sur Gerry. Pauline Cassan est formidable dans le rôle de Rose, la sœur fragile que ses sœurs tentent de protéger contre sa naïveté et ses désirs. On la voit obstinée, excitée comme une enfant à l’idée du bal, désemparée, victime triste et silencieuse de la méchanceté des hommes.
On sort séduit par ce texte et cette mise en scène. On garde au cœur le souvenir de ces femmes dont les espoirs et les rêves ont été brisés par un environnement dominé par les conventions, qu’à la différence des hommes elles n’ont pas pu fuir. Les transformations du monde ont fini d’avoir raison de leur force et de leur envie de liberté et on a le cœur brisé.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h
Théâtre 13/ Seine
103 A Boulevard Auguste Blanqui, 75013 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 88 62 22
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