La gouvernante, Madame Reveleau, mène le Belvédère avec autorité et son quant à soi. Ravel, lui, est en boucle sur ce qui devrait être son ultime œuvre, l’opéra Jeanne d’Arc. La Pucelle le hante : « Si je suis dans la grâce de Dieu, qu’il m’y tienne ; si je n’y suis pas qu’il m’y mette. » Toute la question de la grâce est là et s’y trouve un peu aussi celle du génie ! Car l’artiste non plus ne sait s‘il est reçu en grâce de génie par le public ou pire le sera par la postérité. Comme le mystique, il vit pourtant constamment dans cette quête. D’ailleurs Ravel a un rival, Claude Debussy dont le génie est déjà reconnu puisqu’il est mort ! Sans retenue et avec une franchise de gouvernante indétrônable, Madame Reveleau loue la musique du sublime compositeur de La Mer… Et Madame Reveleau s’y entend à sa façon : quand son si peu maître lui demande ce qu’est le jazz, elle en résume en trois mots tout le phénomène : « la nuit, les jambes, la sueur » ! Bon, sa domination est facile, car Ravel est malade. Atteint depuis 1933 de maladie cérébrale dégénérative (il en mourra en 1937), il ne peut guère écrire et les mots se bousculent au portillon ou font l’école buissonnière. Sa Jeanne d’Arc ne connaîtra ni la scène ni la partition… Le Belvédère, son refuge de Montfort l’Amaury qui a vu naître des œuvres remarquables devient un lieu de réclusion. Doublement enfermé dans sa boite crânienne et entre ses murs, le musicien devient dépendant de sa domestique à qui il demande même de répondre aux journalistes à sa place puisqu’elle le connaît si bien. Les rapports maître-serviteur s’inversent donc, ce qui donne lieu à quelques beaux moments d’humour.

Il faut saluer la mise en scène de Julien Fišera qui a également conçu le spectacle. En un espace réduit se tiennent Ravel et Madame Reveleau, mais aussi les meubles et bibelots d’une maison bourgeoise de campagne. On s’y sent un peu à l’étroit et de fait les relations des personnages y sont resserrées jusqu’aux limites de la promiscuité. Mais la belle idée vient de la façon de mettre en scène la musique ! On dira que dans un tel spectacle elle s’imposait nécessairement mais ce n’est rien dire quant à la façon de lui faire place sans lourdeur ou clins d’œil trop faciles à l’œuvre plus ou moins connue du maître. Un peu de Pavane pour une infante défunte par ci ? Et comment ne pas évoquer le Boléro ? Rien de tout cela mais quelque chose de la musique ravélienne est bien présent dans la composition musicale pour batterie d’Anthony Laguerre. D’abord la touche impressionniste dans les subtilités de sa percussion et des ressources mises en œuvre. Ensuite, le crescendo ! Sonore certes, mais physique également. Le batteur et son monstre résonnant se font entendre au loin. Puis, on les sent arriver du couloir. Ils se rapprochent et bientôt franchissent le seuil du salon pour finalement s’y installer et faire triompher « la partie son » (osons cette homophonie !). Pas une seule citation musicale de Ravel mais toute l’originalité, la finesse, la surprise et la force de sa musique sont présentes par déplacement, métonymie musicale pour faire entendre un son à partir d’un autre. Magnifique !

Enfin, saluons le duo d’acteurs qui incarne une sorte de couple de personnage aussi improbable qu’évident. Le longiligne Vladislav Galard qui a coécrit le texte avec Julien Fišera, joue un Ravel à moitié ravagé par la maladie d’une façon qui sauve la poésie et la dimension créatrice du personnage. En face, dans une interaction forte presque symbiotique, Thomas Gonzales tel un transgenre à barbe faisant penser à Conchita Wurst, campe une extraordinaire Madame Reveleau qui assume sa tâche de gouvernante au-delà des limites professionnelles, jusqu’à une direction à la fois autoritaire et bon enfant. Dans la chaleur de la soute de la péniche, les rires parcourent en roulis et tangage un public enthousiaste.

Ne manquez pas le prochain embarquement !

Jean-Pierre Haddad

À la POP (Péniche Opéra à Paris, quai de Seine, 19e) les 17 et 18 mai.

Résidences de création La Vie Brève – Théâtre de l’Aquarium ; Abbaye de Royaumont ; Les Tréteaux de France – Centre dramatique national ; La Ferme du Buisson – Scène nationale de Marne-la-Vallée.

Reprise au théâtre Le Dunois, 7 rue Louise Weiss, 75013 Paris, du 11 au 15 avril 2023.

Réservation au 01 45 84 72 00 ou sur reservation@theatredunois.org

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