Yasmina Reza résume son texte en disant qu’il s’agit « de quatre brefs passages en revue de l’existence par des voix différentes et paradoxales, ou encore d’une variation sur la solitude humaine et des stratégies » que l’on développe pour continuer à vivre. Quatre personnages donc. Le philosophe Ariel Chipman a quitté Spinoza, dont il était un spécialiste, abandonnant désir et joie de vivre qui ne peuvent que s’évanouir dans la lassitude et la déception. Il file désormais sur la luge du pessimisme schopenhauerien. Sa femme, Nadine, à la lucidité cruelle, se révèle être une grande angoissée sous des dehors frivoles. A leurs côtés, leur ami Serge fort préoccupé par les voitures et enfin leur psychiatre. Ils parlent de tout, de l’angoisse de vivre, du vieillissement, de la conjugalité et du port de la robe de chambre qui tuent l’amour, du mariage Renault-Nissan, de l’intérêt de manger les fraises à la fourchette plutôt qu’à la cuillère !
Le texte de Yasmina Reza n’était pas écrit pour le théâtre. Frédéric Bélier-Garcia en a fait un objet théâtral, chacun des personnages monologuant devant un des autres, qui fait semblant de l’écouter, avant de glisser dans l’ombre passant la parole à un autre en une sorte de ronde où chacun va laisser libre cours à ses angoisses. Ce pourrait être lassant n’était la qualité du texte de Yasmina Reza. Les personnages s’interrogent sur le sens de leur vie, choisissent de s’enfoncer dans la plus noire misanthropie, hésitent, se contredisent, font preuve de mauvaise foi, interpellent l’autre. C’est à la fois sérieux et très drôle car, dans cet océan de pessimisme et de solitude, abondent les trouvailles qui déclenchent le rire. Un exemple parmi d’autres : « Quiconque se met en robe de chambre est aspiré vers le néant. Althusser a tué sa femme en robe de chambre. A moins d’être Roger Moore la robe de chambre conduit tout droit à la catastrophe ! » Le succès tient aussi beaucoup à la qualité des interprètes. Jérôme Deschamps s’installe dans les habits burlesques de l’ami d’apparence frivole qui a choisi, à l’inverse de ces grands pessimistes que sont Ariel et sa femme, d’être positif puisque la vie n’a aucun sens. Christèle Tual promène sa longue silhouette de psychiatre qui écoute mais finit par dire ce qu’elle a sur le cœur dans un monologue aussi hystérique qu’explosif. André Marcon campe un Ariel Chipman, misanthrope brillant, grincheux à souhait, qui a dépouillé toute illusion sur la vie, le sexe, l’amour et qui entraîne tout le monde dans sa dépression. Yasmina Reza est sa femme et c’est assez troublant de la voir interpréter ce personnage qu’elle a créé. Excédée par les discours qu’elle connaît par cœur de ce mari qui se laisse aller, elle cache son inquiétude en croquant des biscuits apéritifs et en se laissant aller à sa propre logorrhée. Ils ne dialoguent jamais, chacun semble enfermé dans sa solitude. Et pourtant à la fin s’ouvre une petite fenêtre de tendresse et c’est bouleversant.
Micheline Rousselet
Du lundi au vendredi à 21h, le samedi à 17h et 21h, le dimanche à 15h
La Scala-Paris
13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris
Réservations : 01 40 03 44 30 ou billetterie@lascala-paris.com
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