Un jeune homme de « bonne famille » plutôt désœuvré braque un bureau de change à main armée. Non seulement il est dénoncé par son complice mais son casse est foireux. Il s’enfuit après avoir tiré dans la main du caissier récalcitrant et empoché quelques liasses de billets alors qu’il venait pour voler des lingots d’or qu’il avait lui-même commandé la veille sans le moindre argent pour les payer. Dans sa cavale, pris en chasse par des passants puis par la police il perd ses lunettes. Face à un gardien de la paix, il tire et le tue d’une balle en plein cœur ! Il reprend sa course pour être finalement plaqué au sol et désarmé par un passant lancé à sa poursuite. Il termine sa journée au 36 quai des Orfèvres. Ce n’est pas le scénario d’un polar tragi-comique mais un fait divers survenu le 25 février 1954 dans le quartier de la Bourse à Paris. Le criminel s’appelle Jacques Fesch, catalogué comme « blouson doré », voyou issu de la bourgeoisie. Malgré le choix familial des meilleurs avocats, il sera condamné à la peine capitale… « Coupable d’un acte involontaire » comme il dira de lui-même, non sans mauvaise foi, dans son journal de prison intitulé Dans cinq heures je verrai Jésus.

C’est en adaptant cet écrit au titre à la fois vaniteux et pathétique, bouclé par le condamné la nuit-même de son exécution que Fitzgerald Berthon a conçu son spectacle dont il est aussi le seul interprète accompagné par moments des voix off d’Éric Devillers et de Maxime d’Abboville. Sa proposition théâtrale audacieuse, intense et pleine d’intérêt nous fait revivre les dernières semaines, jours et heures de ce « damné » qui rencontrera Jésus entre les quatre murs de sa geôle – trois seulement au théâtre plus un invisible par lequel le spectacle s’échappe vers le spectateur.

On connaît tous Le dernier jour d’un condamné de Victor Hugo mais ici il ne s’agit pas d’un vibrant plaidoyer contre la peine de mort. L’État, on le sait, ne laisse aucune « chance » au meurtrier d’un policier et la grâce non pas celle divine mais celle présidentielle ne viendra pas. De fait, Jacques Fesch s’attend à mourir, va l’accepter de plus en plus, voire le souhaiter comme une délivrance. Compte tenu de l’éducation catholique reçue par une mère qui l’a surprotégé face à un père hautain voire haineux, le prisonnier va se  « tourner vers » Jésus (conversio en latin). Dans son discours, c’est bien sûr Jésus qui vient le visiter – passe-muraille célèbre depuis son évasion mystérieuse de son tombeau. Cette révélation survenue dans la nuit du 1er mars 1955 lui rend supportable son enfer-mement en le préparant à une évasion par le haut qu’il croit assurée si on en juge par le futur de l’indicatif du titre de son journal. « Ce n’est pas le doute mais la certitude qui rend fou » disait Nietzsche, celle mystique verrouille la folie à double tour.  

Jacques Fesch avait une personnalité fragile et tourmentée mais Fitzgerald Berthon interprète le personnage avec une froideur, une détermination et un aplomb qui traduisent bien l’absolue conviction du condamné d’être sauvé sinon rendu à la liberté. Par contraste, les gesticulations habilement chorégraphiées par Jann Gallois trahissent son agitation intérieure. Ce seul en cellule est passionnant et pas seulement en raison de sa dimension de fait réellement advenu. On pourrait déplorer que l’interprétation verbale ne fasse pas assez ressentir la complexité intérieure mais il faut se rendre à l‘évidence que le parti-pris de mise en scène dédoublant le personnage entre paroles contrôlées et danses frénétiques a plus de pertinence pour donner à voir cette personnalité à la fois normale et pathologique. «Je veux offrir ma mort à tous ceux que j’aime et que j’ai blessés» : il en est conscient mais les vivants ont-ils un besoin de mort ? «L’esprit du Seigneur me prit à la gorge»… étranglé d’une culpabilité pas seulement judiciaire, le péché se substituant au crime ? « J’attends l’amour », celui du Père mais plus du tout celui que son père lui a refusé dès son enfance. Il conserva celui de sa première femme dont pourtant il vola le père qui l’avait recueilli alors que sa famille le rejetait car il avait épousé une juive. À onze heures du soir, la veille de son exécution : « Dans cinq heures je verrai Jésus qui m’attire déjà à lui par le peu qu’il me donne. » ce peu n’est-il pas étonnant pour une révélation mystique vécue au quotidien à travers de nombreuses lectures et de fréquents échanges épistolières avec un frère bénédictin. Tout s’éclaire théologiquement donc s’obscurcit psychiquement : «Je suis comblé. On me sauve malgré moi, on me retire du monde parce que je m’y perdais.»

Jacques Fesch a-t-il rejoint le Ciel depuis la cour de la Prison de la Santé à l’aube du 1er octobre 1957 ? En deux morceaux ? Suis-je bête, l’âme est indivisible, pas la personnalité… Une chose est sûre : à peine exécuté, il a commencé une nouvelle vie posthume, réincarné dans la revendication religieuse d’un groupe de pression. Dans certains milieux catholiques, on s’est pris de compassion pour le supplicié qui, du fait de sa conversion et de sa repentance, a été érigé en modèle de rédemption par le Christ. Ils ont voulu en faire un saint, un peu comme l’un des deux larrons crucifiés avec Jésus et qui « reconnait » le Christ sur la croix. L’Église ayant fait de lui son premier saint pénitent. Jacques Fesch s’est peut-être lui-même identifié au « bon larron » à qui Jésus dit : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis. » (Luc, 23,43)

Sans aboutir, l’affaire est allée loin puisque le cardinal Lustiger s’est personnellement engagé dans le dossier de béatification de Jacques Fesch ! Chose plus étonnante encore, bien qu’il n’y ait eu aucun doute sur sa culpabilité, son fils, d’une deuxième union, aidé d’un certain Gilbert Collard a essayé d’obtenir une réhabilitation civile de son père. L’avocat devenu un pilier du Front National puis du Rassemblement National publie en 2007 : L’assasaint Jacques Fesch, L’histoire du bon larron moderne et crée l’association « Le Bon Larron » en référence à celui des Évangiles pour « venir en aide à toutes les victimes du système judiciaire ». On croit rêver ! Sans défendre aucunement la peine de mort (notre abolitionnisme est sans états d’âme), on peut se scandaliser de l’assimilation de Jacques Fesch à une « victime du système judicaire » comme l’ont été ou le sont encore des condamnés par erreur judicaire : peut-être Christian Renucci ou plus sûrement Omar Raddad ?   

Que signifie, dans notre société laïque et démocratique, que l’on veuille béatifier un criminel jugé sans arbitraire? Y aurait-il une morale religieuse qui se dédouanerait de la morale sociale en se posant comme supérieure sous couvert de « spiritualité » ? A moins que tout cela ne soit qu’idéologie politique, conservatrice ou réactionnaire ? « Spirituel » peut aussi signifier « drôle » ! Comique de l’absurde ou humour noir ? On rirait plus si on n’était pas en plein retour du fondamentalisme religieux à visée politique et de toute obédience.

Ce spectacle de qualité, doté d’une vraie cohérence dramatique mais sans distanciation peut-il être apprécié sans les questions qui l’environnent ?

Merci à Fitzgerald Berthon pour cette heure de théâtre qui en vaut bien cinq de réflexion ou de débat possible…

Jean-Pierre Haddad

La Flèche Théâtre, 77 rue de Charonne, 75011 Paris. Du 08 octobre au 10 décembre, les samedis à 19h. Infos et réservations : 01 40 09 70 40 et https://theatrelafleche.fr/la-saison/dans-5-heures/

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