Comment Frédéric, maire écologiste, exploitant d’une ferme avec son beau-frère et tout nouveau père, a-t-il pu décider seul, en contradiction avec ses engagements et dans le secret, de l’installation de dizaines d’antennes-relais de la dernière génération un peu partout dans la commune ?

Il s’est d’abord frotté aux besoins contradictoires des uns et des autres. La commune manque de réseaux et les indemnisations pour l’installation des antennes seraient bienvenues, mais cela gâche le paysage, fait perdre de la valeur aux maisons et nuit à la santé des voisins. En tant qu’agriculteur il a lui-même besoin d’argent pour s’agrandir, investir, il est endetté, a du mal à payer ses factures et ne peut compter ni sur la banque ni sur la coopérative convertie à l’économie de marché. Comment tenir parole en s’opposant à l’installation des antennes, quand on lui fait vite comprendre qu’il n’a pas le choix, qu’on l’informe mais que sa voix ne compte pas dans la décision ?

C’est pour aborder la question des coupures entre les lieux de pouvoir et les gens en bout de chaîne, qui subissent des décisions qu’ils ne comprennent pas toujours, que Paul-Eloi Forget et Samuel Valensi ont écrit cette comédie. Ils se sont placés dans la situation d’un maire d’une commune rurale confronté à la décision d’installation d’antennes-relais. Aussi bien dans l’écriture que dans la mise en scène, si le sujet reste très sérieux, on est dans la satire, une satire parfois grinçante, mais toujours pertinente. Ainsi le chef de cabinet de la préfète assène « On peut parler du calendrier, mais on ne le changera pas » ou encore « il y a des frictions ? C’est bien on est au cœur du débat démocratique ». Quand quelqu’un s’insurge contre la décision des experts en arguant du fait qu’ils n’ont pas été élus, on lui rétorque que « c’est normal puisque ce sont des experts ». Point de vue satirique aussi dans la mise en scène qui utilise le public. Lumière allumée, on lui demande un avis sur la démocratie aujourd’hui, mais la plupart du temps, lumière éteinte cette fois, on l’entraîne dans l’histoire de Frédéric et il comprend vite que les décisions sont inéluctables et qu’il n’a plus rien à dire. On plonge dans un univers bureaucratique où les lettres arrivent du ciel annonçant les mauvaises nouvelles, où les attentes au téléphone s’éternisent en compagnie de la petite musique des Quatre saisons etoù le maire, renvoyé d’un service administratif à un autre, déploie des trésors de culot et d’inventivité pour tenter de trouver une faille pour sortir du dilemme. La violoniste elle-même (Lison Favard) s’y met, avec stridulations de sauterelles ou horripilante petite musique destinée à faire supporter les interminables attentes au téléphone.

Les comédiens de la compagnie La poursuite du train Bleu, que nous avions aimés l’an passé dans L’inversion de la courbe, sont tous remarquables, particulièrement Samuel Valensi en Frédéric, maire écolo et papa poule, prêt à beaucoup de choses pour tenir ses promesses et écouter ses électeurs et sa famille. Et tous les autres, Paul-Eloi Forget, June Assal, Valérie Moinet, Michel Derville sont aussi très convaincants.

Les séquences s’enchaînent à un rythme d’enfer, on réfléchit, on réagit, on rit, on enrage. Un « spectacle presque participatif sur l’état de notre presque démocratie » (Samuel Valensi) qui excite la gourmandise intellectuelle, réveille l’esprit démocratique et résonne particulièrement bien avec les questions de notre époque.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 30 avril au Théâtre de l’œuvre, 55 rue de Clichy, 75009 Paris – Mardi et mercredi à 21h, le dimanche à 18h30 – Réservations : 01 44 53 88 88 ou www.theatredel’oeuvre.com

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