Elle avait 19 ans, il en avait 29. Elle, c’était Lydia Mizinova que tous jugeaient d’une beauté exceptionnelle, lui, c’était Anton Tchekhov. Elle venait souvent chez les Tchekhov, habitait même parfois chez eux à la campagne et était amoureuse de lui. Ils s’écrivent, se plaisent, s’agacent mutuellement, se désirent mais se manquent. Il ne se décide pas à lier sa vie à la sienne. Elle lui écrit « vous vous débrouillez toujours pour vous débarrasser de moi et me jeter dans les bras d’un autre ». Elle finit par s’éprendre d’un homme de lettres connu, un ami de Tchekhov, Potapenko. Elle voyage à Berlin, à Paris, a une fille qui meurt. Potapenko ne quittera jamais sa femme pour elle.
Des soixante-quatre lettres de Tchekhov à Mizinova et des quatre-vingt-dix-huit que Lika, comme il l’appelle, lui a adressées, Nicolas Struve en a adapté et mis en scène une centaine. Leurs lettres sont à l’image du jeu du chat et de la souris qui anime leur relation, oscillant entre joie et férocité (i lui dit « c’est avec plaisir que je vous ébouillanterais »), désir et solitude, bavardage et tragédie de l’abandon masquée sous une politesse désespérée. Elle se plaint qu’il ne lui écrive pas. Il répond que ce n’est pas d’écrire qu’il a besoin, mais qu’il a envie d’être auprès d’elle. Pour autant il ne se décide pas et dit « je suis un homme de lettres, je dois écrire ». Seule, abandonnée, elle rentre en Russie. Tchekhov et elle s’écriront encore un peu puis ne se verront plus. Mais Tchekhov la fera vivre à tout jamais sous les traits de Nina, la Mouette.
Tout autour de la scène les murs sont tendus de bâches noires. Les deux acteurs y écrivent, à l’eau ou à l’encre des noms de lieux, des dates, qui s’effacent en séchant comme des regrets. Des feuilles de papier sont jetées, volent, jonchent le sol comme des lettres abandonnées ou un manuscrit en train de s’écrire.
David Gouhier est Tchekhov et Stéphanie Schwartzbrod Lydia. Incandescente, ironique, masquant sa fragilité, son sentiment d’abandon et sa solitude croissante derrière la moquerie, elle est très émouvante. Lui s’efface peu à peu dans la mélancolie, commence à tousser, dit « j’ai laissé filer ma santé comme je vous ai laissé filer ». À l’image de leurs personnages, ils courent, se provoquent, s’évitent, se repoussent pour mieux s’enlacer ensuite (chorégraphie de Sophie Meyer). Elle s’abîme peu à peu dans cet amour qui ne s’est jamais concrétisé mais Tchekhov lui fera le plus beau des cadeaux. Tout le monde la reconnaîtra sous les traits de la Mouette. Lika a laissé place à Nina et Tchekhov à Treplev et ce sont leurs mots que l’on entend à la fin.
Micheline Rousselet
Du 24 août au 9 octobre au Théâtre de La Reine Blanche – 2 bis Passage Ruelle, 75018 Paris – Réservations : 01 40 05 06 96 – Mardi, jeudi, samedi à 21h
En tournée ensuite : le 19 septembre au Théâtre de l’Arlequin à Morsang-sur-Orge – les 9 et 10 avril 2022 au Théâtre de l’Abbaye à Saint-Maur-des-Fossés
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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