La scène est plongée dans le noir et on entend derrière une porte deux voix, une femme , personnage UNE (Frédérique Loliée) et un homme, personnage DEUX (Quentin Raymond) qui cherchent la salle qu’on leur a attribuée. La porte s’ouvre et on découvre un décor aseptisé (une table, quatre chaises, un tableau blanc au mur et une fontaine à eau), les deux personnages et un troisième, TROIS (Laetitia Lalle Bi Benie), une femme noire, tremblante, tétanisée qui ne répond pas aux invitations des deux personnes à entrer, se mettre à l’aise, boire un verre… Où sommes-nous ? Que lui veulent-ils ? Pourquoi ont-ils l’air aussi embarrassés ? Pourquoi cette femme est-elle là ? Nous allons le découvrir progressivement comme dans un roman policier.

debbie tucker green, dramaturge, scénariste, metteuse en scène et réalisatrice britannique d’origine jamaïcaine, a ciselé une partition à trois voix se chevauchant, se juxtaposant, s’entrechoquant d’une extrême tension entrecoupée de respirations comiques qui soulignent l’absurdité kafkaïenne de la situation. UNE et DEUX sont deux agents administratifs qui sortent à peine de formation et qui, en suivant un protocole préétabli, doivent amener leur cliente à prendre une décision redoutable sans l’influencer. Leur bienveillance maladroite et excessive, leur malaise, leur embarras exacerbent la violence de TROIS qui leur fait entendre qu’ils ne comprennent rien à sa situation tant ils évoluent dans un monde qui n’est pas le sien.

Dans cette œuvre dystopique d’anticipation qui se situe dans un futur qui pourrait être très proche, debbie tucker green nous plonge dans un monde effrayant où la justice confiée à des sociétés privées délègue à la victime le choix d’une sentence punitive et vengeresse. La victime, dont on ne se préoccupe pas, devient bourreau et dédouane le système de ses responsabilités empêchant toute reconstruction de la victime. On revient aux plus bas instincts : œil pour œil, dent pour dent.

Le metteur en scène Cédric Gourmelon, qui dirige depuis juillet 2021 la Comédie de Béthune, a travaillé avec les comédiens sur le texte pour en faire ressortir la tension extrême qui passe par une maîtrise technique parfaite des dialogues, des non-dits, de la gestuelle et des déplacements dans ce huis clos. Les comédiens, Frédérique Loliée, Laetita Lalle Bi Bennie, Quentin Raymond, tous remarquables, nous captivent et rendent cette tension palpable par la justesse de leur jeu où personne ne se sent à l’aise.

Une pièce kafkaïenne inquiétante et fascinante sur les dérives du libéralisme, sur la disparition des relations humaines à aller voir. Une jeune dramaturge anglaise à suivre.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 5 mai du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30 – Théâtre La Tempête, Cartoucherie, route du Champ-de-Manoeuvre, Paris 12ème – Réservations : 01 43 28 36 36 ou www.la-tempete.fr – du 14 au 17 mai, TNBA à Bordeaux

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