En choisissant de parler du couple mythique que formèrent le cinéaste John Cassavetes et son actrice fétiche, de surcroît son épouse, Gena Rowlands, Sébastien Pouderoux et Constance Meyer, eux-mêmes en couple, aidés à l’écriture par Agathe Peyrard, n’ont pas souhaité faire un biopic mais soulever des questions qui sont au cœur de l’acte créatif.

La pièce met en scène le cinéaste et son actrice entourés de « leur bande », comédiens, techniciens et producteurs, au moment de la création de Une femme sous influence. Ce film, typique de l’univers de Cassavetes dresse un portrait de la classe moyenne américaine et surtout d’une femme, Mabel, incarnée génialement par Gena Rowlands, une femme au foyer que son échec à rentrer dans le moule conduit au bord de la folie. A travers les relations de John Cassavetes et de Gena Rowlands, entre eux et avec leurs proches, toute une série de thèmes liés à la création artistique sont abordés : conformisme/anticonformisme, financement/obéissance aux normes/place de la marginalité. Ces questions sont d’autant plus passionnantes que pour le couple « le cinéma était plus qu’un art, c’était une manière de vivre ».

La pièce s’organise autour de trois pôles, la fabrication d’Une femme sous influence, le monde des critiques à travers une émission qui rappelle Le masque et la Plume, avec des critiques qui font assaut d’humour et d’ironie pour ou contre le film et enfin des scènes de déposition dans un bureau de police à l’occasion d’une plainte pour agression portée contre le cinéaste par un technicien. La scénographie habile d’Alwyne de Dardel place les personnages dans un espace unique, à la fois lieu de vie, de travail (Cassavetes utilisait souvent son appartement comme cadre de ses films), de fête, d’émission de télévision et de commissariat de police.

Sébastien Pouderoux et Constance Meyer ont choisi de s’en tenir à un nombre restreint de personnages, le couple, le comédien Peter Falk qui interprétait le mari de Mabel dans Une femme sous influence, des chefs d’entreprise possibles producteurs, et des critiques de cinéma. En dehors de Sébastien Pouderoux qui incarne le cinéaste, les autres comédiens incarnent plusieurs personnages.

Point n’est besoin de connaître les films de Cassavetes pour s’intéresser à la pièce. Le portrait de l’artiste qui en sort est riche des contradictions d’un homme tout entier attaché à ses créations, prêt à tout pour convaincre un financier puis faisant tout le contraire au dernier moment, fidèle en amitié, mais prêt à essayer de soutirer un peu d’argent à son ami pour réaliser son projet, un homme qui alla, quoi qu’il lui en coûta, contre l’institution hollywoodienne et qui peut être considéré comme l’ancêtre du cinéma indépendant américain.

Sébastien Pouderoux incarne ce John Cassavetes bouillonnant d’idées et d’énergie, anticonformiste à l’égard d’Hollywood comme de la société américaine, mais qui s’y brûlera les ailes. Marina Hands est une Gena Rowlands prodigieuse, telle qu’on l’imagine, profondément unie à son époux, capable de le préparer à rester conformiste pour obtenir les fonds dont il a besoin (en vain!) comme de jouer la « folie » de Mabel. Nicolas Chupin incarne un Peter Falk devenu un inséparable des folies du couple. Dans les scènes consacrées à l’émission de télévision critique on se laisse emporter par le débat qui oppose le pro-Cassavetes Thierry Raymond incarné par Antoine Prud’homme de la Boussinière et une Dominique Blanc déchaînée qui interprète Pauline Kael qui assumait, avec une bonne dose de mauvaise foi, ses goûts et ses dégoûts et elle détestait Cassavetes !

Une pièce vivante, drôle, surprenante, admirablement interprétée d’où l’on sort non Contre, mais tout contre !

Micheline Rousselet

Jusqu’au 3 novembre au Vieux-Colombier, 21 rue du Vieux-Colombier, 75006 Paris – les mardis à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, les dimanches à 15h – Réservations : comedie-francaise.fr

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