Nombreux sont ceux qui ont cru, tout au moins au début, que le développement des réseaux sociaux allait permettre de sortir du formatage des media et contribuer à redonner vie à la démocratie en encourageant la parole. Mais ces réseaux sont devenus le vecteur de toutes les rumeurs qui circulent de plus en plus vite touchant un public de plus en plus large au point que certains, les adolescents en particulier, doutent de tout. Ce qui est vu sur Facebook est considéré comme plus vrai que ce que l’on peut lire dans les journaux, même les plus sérieux. Certains en arrivent même à douter qu’un homme ait marché sur la Lune ou qu’un avion soit tombé sur le Pentagone en septembre 2001.
Valérie Grail, la metteure en scène de Contagion , toujours soucieuse d’un théâtre relié au réel a souhaité une pièce qui examine cette question. Elle s’est adressée à François Bégaudeau, parce qu’elle avait aimé Entre les murs , qu’elle voyait en lui quelqu’un qui s’interrogeait sur la façon de transmettre et qui n’avait pas de réponse toute faite. Avec un style vif et plein d’humour, avec finesse et intelligence François Bégaudeau lance son personnage Stéphane, un professeur d’histoire, dans trois rencontres, avec un adolescent, un journaliste et un auteur dramatique qui écrit sur le Djihad. Avec l’adolescent, Stéphane est bousculé par le « on est manipulé » et découvre la difficulté de s’opposer de façon rationnelle aux pseudo-raisonnements complotistes. Avec le journaliste, il se heurte à la difficulté de sortir de l’immédiateté et refuse de jouer « le bon client » que le journaliste voit en lui, puisqu’il a enseigné à Villiers-le-Bel et peu importe que ce soit très peu de temps ! Et s’il fallait finalement s’exfiltrer, fuir les images et les mots trop envahissants, chercher des interlocuteurs avec qui parler autrement.
Les dialogues filent, pleins de vie, portés par deux excellents acteurs. Côme Thieulin est très convaincant en adolescent, petit bonnet vissé sur la tête, pianotant sur son ordinateur, passant de Fukushima aux Illuminati, avant de jouer avec une balle. Raphaël Almosni est Stéphane, le professeur qui n’arrive pas à convaincre son ancien élève, qui voit que ni sa culture ni son expérience ne l’imposent à cet adolescent. Au journaliste il dit ne plus savoir parler aux jeunes et l’énervement le gagne. Celui qui argumentait avec ténacité au début se transforme et glisse vers un autre terrain avec l’auteur dramatique.
La pièce est stimulante et on ne voit pas le temps passer. On rit, on réfléchit, on entend un écho à nos débats et à nos interrogations et les acteurs sont remarquables.
Micheline Rousselet
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