Cette comédie pastorale de Shakespeare, écrite en prose entrecoupée de vers est un pur régal. Les femmes s’y travestissent en hommes, les méchants deviennent bons, les durs sont vaincus ou s’adoucissent, les grincheux se calment et, comme le hasard fait bien les choses, les amoureux finissent par aimer qui les aime. Tout donc y mène à l’amour. Et pourtant tout avait plutôt mal commencé ! Un duc a pris la place de son frère, que le peuple aimait trop, et l’a banni. S’il a épargné sa nièce, Rosalinde c’est seulement parce que sa fille, Célia, l’aime beaucoup. Olivier, un seigneur du duché souhaite lui se débarrasser de son frère Orlando qu’il jalouse et espère qu’au tournoi de lutte, Charles le massacreur l’éliminera. Mais ce n’est pas le cas et Orlando, frappé d’amour pour Rosalinde part à son tour en exil ! Quant à Rosalinde le duc Frédéric décide aussi de l’éloigner et Célia qui l’aime la suit. Tout ce petit monde rejoint le duc exilé dans la forêt d’Arden. Dans le bois tout le monde batifole, on chante, on philosophe, on plaisante, on rencontre deux « fous » – le bouffon Pierre de Touche et Jacques le mélancolique – et surtout on tombe amoureux. Rosalinde s’est travestie en berger et se fait appeler Ganymède. Orlando ne reconnaît pas sa belle et se plie au jeu proposé par Ganymède de le traiter comme s’il était une femme, ce qu’elle est justement ! Si on y ajoute une bergère qui dédaigne son amoureux et s’enflamme pour Ganymède sans voir que c’est une femme, le bouffon qui est tombé amoureux d’une chevrière et Célia qui a le coup de foudre pour le frère d’Orlando, arrivé comme par magie, on a tous les éléments pour une histoire un peu folle. Pourtant tout finira bien, par quatre mariages.
Christophe Rauck a respecté le texte de Shakespeare, se contentant de couper quelques passages et de changer un peu l’ordre des scènes pour rendre la narration plus claire. On peut donc se régaler des morceaux de bravoure du texte, pas seulement celui resté célèbre au point d’être inscrit au fronton du Théâtre du Globe « Le monde entier est un théâtre. Et tous, hommes et femmes, n’y sont que des acteurs », mais bien d’autres sur les femmes « Plus la femme a d’esprit plus elle est rebelle. Vous ne la trouverez jamais à court de réplique » ou sur la fugacité de l’amour.
De grandes toiles où se dessinent de hauts troncs d’arbres et un tapis de feuillage au sol figurent la forêt qui abrite les exilés. Des animaux empaillés, cerfs, biches y passent, de la brume, créée par les acteurs eux-mêmes, s’élève de temps à autre soulignant la magie du lieu. Les costumes comme la musique renvoient à l’Angleterre. Les somptueuses robes de cour jumelles des deux cousines laissent place à la salopette de Rosalinde devenue Ganymède, le fou crée le rire avec son bermuda violet et sa veste verte. C’est surtout sur le son que Christophe Rauck a fait un très beau travail avec des morceaux de musique chantés a cappella, allant de Purcell aux Beatles et à Queen. L’utilisation de micros, quand les personnages donnent la parole à leurs pensées ou pour faire la place au hors champ, apporte une note d’humour qui redouble le plaisir que l’on éprouve à l’écoute des dialogues. Tous les acteurs sont remarquables. John Arnold promène l’humour calme de Jacques le Mélancolique les mains dans les poches tandis qu’Alain Trétout, le cheveu ébouriffé développe l’agitation et les répliques, pas toujours folles, de Pierre de Touche. Pierre-François Garrel incarne un Orlando que son amour éperdu rend un peu niais, ce qui est assez fréquent ! Du côté des femmes on retient la voix magnifique de Luanda Siqueira qui interprète la bergère Phébé et surtout Cécile Garcia Fogel. Elle est cette Rosalinde qui mène le bal et domine tous ceux qui l’entourent par son esprit et ses répliques. Elle a le corps agité par le désir amoureux, ne recule pas devant les allusions sexuelles mais n’en perd pas pour autant sa langue bien pendue et son esprit. Elle est magnifique.
Entraînés par eux, le spectateur entre dans un univers où la réalité est un peu magique, où la violence du monde est canalisée par l’humour et l’intervention du hasard, bien aidé par l’intelligence des femmes, et où l’amour finit par l’emporter. C’est une superbe réussite.
Micheline Rousselet
Mercredi, jeudi, samedi à 19h30, mardi et vendredi 20h30, dimanche à 16h, relâche le 1er avril
Théâtre 71
3 place du 11 novembre, 92240 Malakoff
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 55 48 91 00
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