« Ces boîtes d’archives poussiéreuses qui ont la prétention d’être moi, Dulcie September, sont bougées. Ébranlées par les mensonges et la culpabilité, ces boîtes sont entrées dans le mystère…Un mystère qui s’est déployé quand 5 balles ont mis fin à ma vie, brutalement un matin brumeux, le mardi 29 mars 1988 à Paris ».
Trente ans après, le mystère n’est toujours pas éclairci sur les motifs de cet assassinat, la justice française, en prononçant un non-lieu, a clos le dossier. Le meurtre sur notre territoire de la représentante de l’ANC, le mouvement de libération de Nelson Mandela, fait partie de la longue liste des assassinats politiques non élucidés, de Mehdi Ben Barka aux trois militantes kurdes.
Garder vive la mémoire de cette combattante de la liberté, rappeler les sacrifices du peuple sud-africain pour en finir avec le système d’apartheid, crime contre l’humanité, rendre hommage à ceux et celles qui ont sacrifié leur vie à une cause juste, c’est le sens de l’engagement de la ville d’Arcueil qui du mois de mars au mois de juillet va inviter les habitant.e.s à revivre des moments forts de l’histoire de l’Afrique du Sud et de leur ville.
Née en 1935, Dulcie et sa famille, métis du Cap, ont connu l’infamie du régime d’apartheid qui à partir de 1948 avait mis en place un système légal de racisme au moment où l’Onu proclamait la Déclaration universelle des droits de l’homme. Les lois se sont multipliées pour imposer la séparation des habitants d’Afrique du Sud selon la couleur de leur peau : enregistrement à la naissance, séparation des lieux de résidence, lois réprimant toute tentative de désobéissance à ces lois racistes.
Dulcie, la rebelle, n’a pas accepté. Jeune enseignante elle a vite rejoint ceux qui s’opposaient à ces lois, mais la police veillait et le groupe de jeunes révolutionnaires a été mis sous les verrous : cinq ans de prison pour Dulcie et son amie Betty, 10 ans au bagne de Robben Island pour Neville Alexander, le responsable du groupe.
Après la prison, ce fut l’assignation à résidence et l’interdiction de recevoir plus de deux personnes à la fois. Dulcie qui pétillait de vie a choisi l’exil, sans espoir de retour. Ce fut Londres et son climat un peu rude pour celle qui avait grandi sous le soleil du Cap. La rencontre avec les exilés politiques sud-africains et l’adhésion à l’ANC. Peu à peu Dulcie, la travailleuse, la militante efficace se vit confier des tâches importantes. Elle alla à Lusaka en Zambie, à Morogoro en Tanzanie, deux pays voisins qui offraient asile aux militants de l’ANC ; elle représenta la Ligue des femmes de l’ANC (ANCWL) dans de nombreuses conférences internationales.
A la conférence nationale de l’ANC à Kabwe en Zambie, en 1985, elle a fait partie de ces femmes qui ont soulevé la question de la collusion des traditions et de la misogynie dans les rangs même de l’ANC. « Notre tâche est de préparer les hommes et les femmes à l’égalité. Cela veut dire que nous devons lutter contre le chauvinisme masculin, la domination masculine à la maison, au village, en ville, dans les usines, en politique, en économie et dans la religion. Nous devons lutter contre cette domination au sein même de notre mouvement. Aucune société n’est libre, si les femmes ne sont pas libres ».
Elle rejoignit son poste de représentante de l’ANC à Paris en 1986 et le maire d’Arcueil, Marcel Trigon proposa de lui trouver un logement. Le premier était situé au dessus d’une école primaire, mais très vite, Dulcie sentit le danger et demanda à déménager loin d’une école. Elle savait que le système d’apartheid n’hésitait plus à tuer les militants dans les pays voisins de l’Afrique du Sud, mais aussi en Europe. Des attentats avaient visé le bureau de l’ANC à Londres et des coups de feu tirés sur le représentant de l’ANC à Bruxelles quelques semaines avant qu’un tueur ne l’abatte à la porte de son bureau du 28 rue des Petites Écuries à Paris.
La justice française n’a guère montré d’empressement pour rechercher le tueur, encore mois les commanditaires. La Commission Vérité et Réconciliation a consacré plusieurs séances au cas Dulcie September. Le nom du tueur, un Français, un mercenaire, est cité ; mais qui a décidé d’abattre une femme qui en savait trop sur les liens sulfureux entre la France et l’Afrique du Sud de l’apartheid ? Trente ans après, des ouvrages récents parus en Afrique du Sud lèvent le voile sur les liens secrets qui ont permis au régime d’apartheid de massacrer ses opposants, de mener la guerre contre les pays voisins et mettre une chape de plomb sur les droits humains fondamentaux du peuple sud-africain. Mais l’énigme qui entoure le meurtre de Dulcie September reste entière.
« Dans ces milliers de pages d’archives, mon histoire est couchée, enfermée bien sagement. Mais parfois ces boîtes sont moi, Dulcie September, et elles s’agitent. Bousculées par des questions anciennes, des réponses nouvelles et ce vent persistant de culpabilité. Je n’ai jamais beaucoup aimé le mystère, mais les histoires qui tournent en rond finissent par perdre la dignité et la raison et restent prises au piège de l’énigme ».
La pièce Cold Case : Revisiting Dulcie September , co-écrite par Denise Newman et Basil Appollis retrace la vie de Dulcie au travers de témoignages recueillis auprès de la famille et des ami.e.s de Dulcie September en Afrique du Sud , en Grande-Bretagne et en France.
Jacqueline Derens
Une représentation en anglais et afrikaans surtitrée en français sera donnée Vendredi 23 mars 20h30
Espace Jean Vilar,
1 rue Paul Signac, 94110-Arcueil.
RER B, station Arcueil –Cachan, sortie principale.
Réservations : 01 46 15 09 77
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
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