Entre eux c’est fini. Il l’a décidé. Mais il faut le dire. Comment clore l’amour ? Ils sont chacun à un bout de la scène blanche et nue éclairée de seize néons éblouissants. Elle n’a pas eu le temps de poser son sac et Stan attaque. « Je voulais te voir pour te dire que ça s’arrête/ça va pas continuer/on va pas continuer/ça s’arrête ». Il parle pendant une heure d’une traite sans laisser la parole à Audrey. Il lui dit « Je ne t’attaque pas/je te parle ». Quand il s’avance vers elle, ce sont des balles qu’il tire avec ses mots. Et ce qu’il dit est d’une cruauté terrible. Stan dit tout, la relation devenue enfermement, le désir mort, le cadavre de l’amour et la guerre à venir autour des enfants. Sous les coups portés par les mots, Audrey ploie, elle baisse les épaules, creuse la poitrine, s’affaisse. A un moment elle serre les poings devant sa bouche pour ne pas crier. Il lui ordonne avec une ironie glaçante de se redresser, de faire face. Elle le prend au mot et démarre en fauve blessé, si frappée de douleur qu’elle a l’impression d’en avoir perdu sa syntaxe. Puis elle y va. Elle répond point par point avec une intelligence acérée aux paroles cruelles et cinglantes qu’il lui a « balancées ». Elle vise juste, elle convoque la mémoire de leur amour, ses mots, ses gestes, elle pourrait même pardonner, mais a tout de suite conscience que c’est sans espoir. C’est fini et c’est à son tour de dire à Stan ce qu’elle pense de son envie à lui de la quitter. Elle lui dit « tu n’avais pas la carrure de notre amour … Le mot « toujours » est trop grand pour toi ». C’est à elle de porter les coups. En les portant elle retrouve sa dignité, son identité et c’est lui qui doute et s’écroule peu à peu. A la différence de la présentation en Avignon, où l’arrivée des enfants du couple pouvait créer un doute, ici les deux acteurs s’arrêtent, enfilent une parure de plumes bleues, évoquant les Indiens sur le chemin de la guerre et nous font face. C’est implacable et c’est fini.
Pascal Rambert a écrit ce texte pour Stanislas Nordey et lui a proposé Audrey Bonnet comme partenaire. Avec leur accord il leur a laissé leurs prénoms. Il dit avoir choisi Stanislas Nordey « pour sa manière unique de faire du langage une respiration du corps ». L’écriture est saccadée, violente, adaptée à la mise en bouche par des acteurs qui inventent leur ponctuation. Le langage des corps souligne l’intensité saignante de la séparation. Lui, sec, nerveux, est expert en paroles rageuses, mais aussi en bras tendus, en doigts qui pointent, menaçants. Quand il avance, il part au combat, il veut la faire souffrir, les mouvements de son corps répondent à l’impact des mots. Elle est repliée sur sa douleur. Mais quand elle va prendre la parole, elle est droite, elle fait face frémissante et hérissée et c’est au tour de Stan de réagir avec son corps aux mots qu’il reçoit.
Ce texte est la plus poignante des scènes de rupture. Il nous emporte dans une énorme vague vers cette mort qu’est la fin d’un amour. On est loin du mélo, face à ce dialogue des mots et des corps joué par deux acteurs exceptionnels, on a le cœur serré, on est oppressé. Un spectacle très fort qui tourne depuis 2012 et dont on sort toujours bouleversé.
Micheline Rousselet
Spectacle vu en 2012 au Théâtre de Gennevilliers – Reprise du 23 avril au 4 mai 2024 au Théâtre 14, 20 avenue Marc Sangnier, 75014 Paris – mardi, mercredi et vendredi à 20h, jeudi à 19h, samedi à 16h – Réservations : 01 45 45 49 77
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