Trop de gens avaient pris l’habitude de n’évoquer Camille Claudel que sous l’angle de sa relation avec Rodin et de son internement. L’ouverture, en 2017, du premier musée qui lui est dédié à Nogent-sur-Seine a permis de mettre en lumière son talent et de relever la difficulté à le reconnaître quand il s’agit d’une femme.
La dramaturge et metteuse en scène australienne Wendy Beckett s’est attachée à ce personnage à la vie dramatique, qui n’a guère reçu les hommages qui lui étaient dus. Elle montre une artiste passionnée, indocile, sûre de son génie, qui mourut dans un asile après trente ans d’internement. Folle ? Non, plutôt désespérée, déprimée, condamnée par sa famille et la société de son temps. Il faut dire que la vie ne l’avait pas épargnée : une mère confite en religion, corsetée dans des principes, préoccupée essentiellement par le fait que cette fille, une artiste dont elle jugeait la vie dissolue, pouvait nuire à la réputation de la famille et à la carrière diplomatique de son frère Paul. Elle lui coupa les vivres et demanda son internement. Camille ne put compter ni sur le soutien d’un père compréhensif, mais mort trop tôt, ni d’un frère bien aimé, mais lâche et incapable de la soutenir. Rodin admirait le talent de son élève et l’aima, mais pas au point de quitter celle avec qui il vivait et dont il avait un enfant.
La très belle idée de Wendy Beckett a été de faire vivre la sculpture de Rodin et de Camille grâce à des danseurs. Sur le plateau devenu atelier de sculpture, Camille en blouse malaxe l’argile et rêve de marbre. Ses amies l’admirent et la soutiennent, surtout Jessie, la seule autorisée à la visiter après la mort de la mère de Camille, qui avait dressé une barrière entre elle et le monde, la condamnant à l’oubli. Les lumières installent un univers aux couleurs de l’atelier, beige de l’argile et gris très clair du plâtre, des blouses et des rideaux. C’est de noir vêtus qu’arrivent la mère ou Paul incapables d’amour envers cette Camille qui choque leur univers bourgeois étriqué. Dans une chorégraphie de Meryl Tankard, qui fut une artiste principale chez Pina Bausch, les danseurs, vêtus de collants couleur chair, plus beiges que roses, arrivent comme des ombres et deviennent modèles ou statues. C’est l’ombre du Penseur ou du Baiser qui hante l’atelier.
La distribution est homogène, dominée par Swan Demarsan qui incarne un Rodin dont l’attitude dominatrice de maître sûr de lui va se transformer. Il le révèle d’abord un peu déstabilisé par l’insolence de Camille, s’intéressant de plus en plus à son engagement pour son art, peu à peu séduit par la passion et le talent de sa jeune élève et enfin torturé entre son amour pour elle et sa fidélité pour son engagement envers la mère de son enfant. À ses côtés Celia Catalifo révèle une Camille âpre, sans concession, aussi passionnée dans son amour pour Rodin que pour la sculpture, écorchée vive, battante, mais condamnée par une famille qui n’hésitera pas à la sacrifier sur l’autel des convenances bourgeoises et à l’enfermer pour la faire oublier. Et c’est sur son appel à l’aide déchirant que s’achève la pièce.
Tandis que l’on parle beaucoup du plafond de verre qui bloque encore les femmes, ce beau spectacle nous rappelle la mémoire de celle qui fut sacrifiée pour n’avoir pas accepté de rester à la place que la société attribuait aux femmes, peindre ou sculpter pour occuper ses loisirs et non laisser éclater un génie qui pouvait concurrencer celui des hommes.
Micheline Rousselet
Du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h
Athénée Théâtre Louis-Jouvet
7 rue Boudreau, 75009 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 53 05 19 19
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu