Aurore Kahan a traduit et met en scène une pièce de Tom Holloway, auteur contemporain australien, qui raconte l’incommunicabilité à l’intérieur d’une famille dans une petite ville australienne mais cela pourrait se passer n’importe où ailleurs. Devant un écran blanc translucide, le père (William Astre) rentre le soir de son travail dans un magasin. Il exprime son désir de retrouver son foyer, son désir d’embrasser sa femme… Tout cela peut paraître normal si ce n’est que les mots viennent à manquer, il se répète et surgit une hallucination. En parallèle, on voit sa femme (Corinne Valancogne) dans sa chambre qui elle aussi dit ses désirs laissant libre cours à ses fantasmes les plus crus dans un soliloque extravagant. Le père finit par rejoindre sa femme mais rien ne se passe. Les monologues se poursuivent traduisant les désirs de chacun qui restent à l’état de fantasmes. Intervient ensuite la fille (Sarah Cotten) qui elle aussi monologue et rêve d’évasion, d’histoires d’amour avec un de ses professeurs. On va suivre ces trois personnages qui ne vont jamais s’adresser la parole mais qui vont soliloquer face aux spectateurs leur faisant ressentir physiquement leur mal-être interne.
Pour rendre cet isolement palpable, la metteuse en scène a eu l’excellente idée de faire se chevaucher les paroles de chacun qui ne trouvent aucun écho dans un vrai faux brouhaha comme une chorale dissonante. Les paroles se percutent et se manquent créant une polyphonie désaccordée comme les personnages qui tout en se côtoyant n’arrivent pas à échanger et s’abîment dans leur isolement et dans leurs fantasmes confondant rêves et réalité.
L’éclairage froid et sombre de Johanna Boyer-Dilolo et Titiane Berthel et la scénographie de Joffrey Roux accompagnent cette ambiance oppressante et suicidaire. Les trois acteurs sont remarquables. Ils nous font ressentir leur détresse, leur révolte, leur impuissance à sortir de cette dépression annoncée par le ciel rouge de l’aube.
Dans notre société où la communication directe est de plus en plus remise en question par les échanges virtuels, ce spectacle nous fait ressentir aussi bien par l’écriture que par les choix de mise en scène et le jeu excellent des acteurs l’isolement, l’enfermement, l’incommunicabilité qui peu à peu menacent notre monde pourtant hyperconnecté.
Frédérique Moujart
Jusqu’au 29 octobre à 19h du mercredi au samedi – Théâtre des Déchargeurs, 3 rue des Déchargeurs, Paris 75001 Paris – Réservation : 01 42 36 00 50 ou www.lesdechargeurs.fr
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