Pauline Bayle fait partie de la génération montante des jeunes metteuses en scène talentueuses. Lauréate du Prix des jeunes metteurs en scène du Théâtre 13 pour son second spectacle, elle s’est ensuite illustrée avec Iliade puis Odyssée, adaptation des deux épopées d’Homère. Elle s’intéresse cette fois au roman de Leïla Slimani, lauréate du prix Goncourt en 2016, qu’elle adapte en servant très bien le texte de l’auteure, alternant narration et dialogues.
L’histoire est assez terrifiante. Un jeune couple décide d’embaucher une nourrice pour s’occuper de leurs deux jeunes enfants. Myriam, la jeune mère, qui adore ses enfants, en a assez de gâcher son talent à changer les couches. Paul acquiesce, un peu mollement, mais la nourrice qu’ils embauchent est une perle. Les enfants adorent les jeux dans lesquels Louise les entraîne et la maison n’a jamais été aussi ordonnée et lumineuse. Paul et Myriam aussi s’attachent à elle « comme à un membre de la famille » et l’emmènent en vacances avec eux en Grèce. Pourtant les choses ne sont pas aussi simples. Les jeux que Louise invente pour les enfants ont parfois un côté inquiétant révélant une violence cachée. Les parents eux restent des employeurs et certains petits mots qui leur échappent le rappellent à Louise. Ces petits grains de sable vont faire basculer Louise dans le crime le plus horrible.
Construit en analepse comme le roman la pièce commence par le constat froid d’une enquêtrice sur une scène de crime révélant l’assassinat des deux jeunes enfants. Ce qui intéresse l’auteure, ce n’est pas tant le meurtre, c’est comment on en est arrivé là. Louise s’est prise au jeu et a aimé cette famille, son mode de vie d’urbains aisés, elle qui rentre le soir dans une banlieue laide au bout du RER. Elle a aimé les enfants, mais ils la renvoient à son échec avec sa fille. Elle sait que les enfants grandissent et que les parents vont se séparer d’elle. Elle est apparemment douce et calme, mais au fond d’elle s’élève une révolte contre l’injustice sociale, contre ces jeunes parents satisfaits, incapables de s’intéresser à ce qu’est sa vie, une colère qui la mènera à la haine et au meurtre.
La mise en scène de Pauline Bayle nous fait assister au basculement du bonheur d’une famille normale et heureuse à l’horreur, avec une économie de moyens remarquables. Pas de vidéo à la mode, une scénographie sobre avec un canapé, une table basse, une table et des chaises. Tout repose sur les comédiens et ils sont remarquables. Pauline Bayle n’a pas souhaité mettre des enfants sur scène. Anna Cervinka et Sébastien Pouderoux seront donc tantôt la mère et le père des enfants, tantôt les enfants eux-mêmes, ce qui permet de montrer l’enfermement de la famille face à la nourrice. Quelques détails dans le geste et dans la voix leur permettent de passer d’un rôle à l’autre. On est par contre moins convaincu par le choix de faire jouer le rôle du petit garçon par l’actrice et celui de la petite fille par l’acteur. Florence Viala est l’enquêtrice qui ouvre et clôt la pièce, mais elle est surtout une Louise remarquable par sa complexité. Avec sa blouse grise boutonnée elle passe de l’humilité d’ Un cœur simple de Flaubert à la monstruosité de Médée. La faille qu’on ne voit pas au début apparaît discrètement jusqu’à devenir un gouffre qui engloutit parent et enfants et c’est glaçant.
Micheline Rousselet
Du mercredi au dimanche à 18h30
Studio-Théâtre de la Comédie Française
99 rue de Rivoli, Galerie Carrousel du Louvre, Place de la Pyramide inversée, 75001 Paris
Réservations : 01 44 58 15 15 ou www.comedie-francaise.fr
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