Cette petite musique nous joue la partition d’une femme sous emprise. Mais l’intérêt de cet opus est que l’emprise dénoncée est d’abord celle de l’éducation parentale ! Et l’on découvre qu’il se pourrait bien qu’il y ait une « prédisposition » familiale et éducationnelle à tomber sous emprise. D’ailleurs, il y a mille façons de tomber nous dit Clarisse Fontaine auteure et interprète de ce pas si seul en scène (elle est accompagnée de pas mal de spectres). Par exemple, une jeune fille de bonne famille (catho-bourge) qui ose sortir avec un garçon plus âgé peut fort bien « tomber d’accord » avec ses parents qui la traitent de « traînée ». Si cela est possible, c’est tout simplement parce qu’elle a intégré les principes puritains-pervers d’une éducation rigide et hypocrite.

La proposition théâtrale de Clarisse Fontaine qui a fait appel à Joey Starr pour la mise en scène est audacieuse et volontairement troublante. En effet, c’est en talons hauts (très hauts) et en robe noire décolletée arrivant à mi-cuisses que la comédienne qui a été aussi mannequin, se présente sur scène pour nous raconter une histoire qui semble la concerner très directement. Costume provocateur ou tenue habituelle de la comédienne ? Impossible de trancher mais l’habit lui va comme un gant. Gant de défi qu’elle a su ramasser avec talent, générosité et beauté du geste. Un grand courage de scène mais aussi dans la façon même d’aborder la question de l’emprise : Clarisse Fontaine qui assume un seul en scène qui est aussi une mise à nu, semble savoir par expérience que l’emprise « se joue à deux », deux au moins puisque ça peut commencer à trois dans le cadre de la « sacro-sainte famille ». Un peu comme si on disait et sans provocation aucune que persécuté et persécuteur forment un couple… D’ailleurs si l’on veut remonter aux conditions de possibilités socio-culturelles du phénomène d’emprise, il faut non seulement convoquer le patriarcat et la misogynie multiséculaires de nos sociétés judéo-chrétiennes mais aussi poser la question du désir ! La philosophie et la littérature savent depuis longtemps et à leur suite la psychologie et la psychanalyse, que le désir mué en passion ravageuse peut fort bien prendre la forme d’une demande d’emprise/prise/emprisonnement. On peut aussi « tomber »… dans les bras de celui par qui on va souffrir. D’ailleurs « tomber en amour », n’est-ce pas déjà tomber ? On dira qu’il s’agit d’un désir « malade » mais ce n’est en vérité qu’un désir d’attachement comme celui de tout enfant qui aurait été façonné par un certain passé psycho-affectif. Il suffit que l’amour parental ait été donné accompagné de (ou pollué par) des interdits malsains aussi frustrants que culpabilisants et donc voués soit à une transgression « vicieuse » soit à une neurasthénie dévastatrice. N’est-ce pas Freud qui parlait de pulsion sado-maso concernant tout le genre humain ? La Grande Santé nietzschéenne, ce n’est pas un donné mais une conquête personnelle et permanente… La comédienne s’y entend et nous invite à suivre en douceur mais avec détermination et précision le parcours singulier de son personnage.

Cette petite musique que l’on n’entendait pas autour d’elle était masquée par le vacarme de notre monde hyper masculinisé/masculiniste. Elle a pu être un cri sourd mais devient sur scène une parole claire, un rire narquois aussi et surtout un chant d’amour qui tente de se défaire de son aliénation. Nul doute que le spectacle n’aurait pas eu la force de percussion qu’il a sans la patte de Joey Starr sollicité par Clarisse Fontaine pour la mise en scène. Concerné par le sujet en position de « bourreau », il a participé à l’intelligence artistique du sujet qui est travaillé de l’intérieur comme une relation trouble, sans préjugés ni complaisance.

Cela donne une performance de Clarisse Fontaine remarquable de présence et pleine de justesse dans le propos, le jeu et le geste. Sa parole est aiguisée pas déguisée, son corps agile, libre et délié dans ses mouvements et attitudes. La scénographie et les lumières de Camille Duchemin servent merveilleusement le spectacle : espace ouvert et cependant très construit autour de trois cubes blancs polyvalents, un écran où des images en noir et blanc viennent soutenir le jeu et des éclairages qui habillent le récit autant que la scène. Le dessin sonore de la pièce est réalisé par le DJ français Cut Killer, c’est stylisé, samplé et psycho-délique.

La musique que font entendre Clarisse et Joey devient chant de désaliénation, hymne à la déprise du soi désirant dont le dernier couplet nous dit : « Rien n’est plus fort qu’une femme qui tombe et qui se relève. »

Jean-Pierre Haddad

Avignon – Off, Théâtre du Balcon, 38 rue Guillaume Puy. Du 7 au 26 juillet à 22h. Informations et réservations : 04 90 85 00 80 & https://www.vostickets.fr/Billet?ID=THEATRE_DU_BALCON&SPC=22458 Relâche le 13 et le 20.


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