Une femme parle d’un monstre qui avance, avalant les paysages, engloutissant les villes. Au début la radio annonçait sa progression puis elle s’est tue. Et un jour, ce monstre, la guerre, l’a rattrapée. Le monde a changé, des fossoyeurs sont à l’œuvre. Épuisés de travail, semblant étrangers à ce qui se passe, ils regardent, ils subissent. Ce qui reste d’humain dans ce monde, c’est cette femme qui caresse les morts, leur parle à l’oreille et garde leur mémoire.

Si ce qu’évoque le texte de Laurent Gaudé est la guerre, le pathos en est totalement absent. Il réalise un équilibre subtil entre poésie et tragédie et celle-ci est masquée par un humour absurde qui fait penser à l’univers de Beckett avec ces deux fossoyeurs qui attendent … qu’on leur apporte savon ou pommade pour soulager leurs maux.

Ce très beau texte est porté à la scène par Alexandre Tchobanoff. Des flash vidéo passent, images à la lumière sale et glauque de paysages, de routes entrevues à la vitesse de l’éclair. La femme, Prisca Lona, chante Ederlezi, une chanson sur les Roms de Goran Bregović,que l’on entend dans le film Le temps des gitans. Chantée dans une langue qui fut celle de la Yougoslavie, elle rappelle que la première guerre touchant l’Europe après la Seconde Guerre Mondiale eut lieu dans ce pays. Au côté de cette femme, les deux fossoyeurs avec pour tout instrument une pelle rouge, un bidon et un escabeau. Ils cherchent des solutions à leur abandon, avec tous ces morts à enterrer, et voudraient avoir une réponse à leurs revendications de la part de ceux qui les dirigent et dont ils ignorent tout. Arnaud Carbonnier et Olivier Hamel font ressortir tout ce qu’ont de grotesque et de pitoyable les deux fossoyeurs espérant au-delà du possible et se consolant la tête de l’un sur les genoux de l’autre. Prisca Lona est « la rescapée », brisée mais encore vivante, qui murmure à l’oreille des morts et saura parler d’eux aux survivants.

En ce temps de retour de la guerre en Europe, on ne peut qu’être bouleversé en l’entendant dire à la fin : « Je serai celle dont les mains ont gardé la trace des corps avalés par la guerre »

Micheline Rousselet

Du 7 au 26 juillet au Théâtre des Carmes André Benedetto, 6 place des Carmes, 84000 Avignon – à 13h45 – Relâche les 13 et 20 juillet – Réservations : 04 90 82 20 47 ou www.theatredescarmes.com

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