Après sa trilogie Points de non-retour autour des récits manquants de l’Histoire récente de la France, Alexandra Badea a décidé d’écrire et de mettre en scène un spectacle destiné essentiellement au jeune public pour faire entendre et faire partager son rêve, ses doute, ses craintes…

Déa (Lula Paris), lycéenne en première scientifique promise à un bel avenir rencontre lors d’une fête Enis (Alexis Tieno) , un jeune réfugié, mineur isolé qui a quitté son pays en guerre en se confrontant au business des passeurs. En chemin, il a dû se séparer de sa mère en Grèce. Arrivé en France sans papiers, il a déposé une demande de droit d’asile pour mineur isolé qui lui sera refusée parce qu’il paraît plus vieux que son âge. La première rencontre entre Déa et Enis est conflictuelle : elle danse sur une musique à fond sans se soucier de lui plongé dans sa lecture d’un livre de poèmes et qui aspire au calme. Ceci est prétexte à un très bel échange chorégraphique : les corps se croisent, se frôlent, s’affrontent et se cherchent dans un décor de clairière parsemée de souches et de feuilles mortes avec en arrière plan sur grand écran vidéo une forêt. C’est dans ce décor à la fois protecteur et inquiétant qui peut faire penser aux forêts des contes que va évoluer leur relation. Ils vont apprendre à se connaître, une amitié profonde et un véritable amour naissent entre eux. Enis qui lui apprend la signification de son prénom, celle qui regarde le monde, va l’amener à sortir de sa zone de confort. Elle qui semblait avoir un avenir tout tracé va tout remettre en question : il lui donne le courage d’assumer ses envies et de faire ses propres choix, de penser par elle-même. Déa ,quant à elle, va lui permettre de sortir de sa méfiance envers l’autre. Elle va aller jusqu’à l’aider à passer en Angleterre quand sa demande d’asile sera refusée.

En parallèle à ce qui se passe sur scène, est projeté sur l’écran vidéo l’interrogatoire de Déa par un policier (Stéphane Facco). Celui-ci veut lui faire comprendre qu’en aidant Enis, elle a enfreint la loi. Mais par ses réponses et son argumentation, c’est elle qui va le déstabiliser dans son statut de garant de l’ordre établi. Aux yeux de Déa, lui, comme ses parents, représentent tout ce qu’elle rejette : l’incapacité à penser par soi-même, l’obéissance aux diktats de la performance, de la productivité et de l’efficacité. La lumière et le décor froids du commissariat à l’image de la loi contraste avec les couleurs chaudes et l’ambiance poétique de la forêt, refuge de la complicité des deux jeunes.

Les trois acteurs sont remarquables : Lulu Paris et Alexis Tieno sont pleins d’enthousiasme, de fougue et de sensibilité comme la jeunesse révoltée qu’ils représentent ; Stéphane Facco, bien qu’il représente l’ordre, campe un policier humain et compréhensif.

Un très beau spectacle touchant pour tous les publics et d’une grande actualité. Alexandra Badea est une autrice et metteuse en scène à suivre qui traite toujours avec talent de thèmes historiques, politiques, sociaux.

Frédérique Moujart

Hors les murs du 14 au 19 novembre – le spectacle sera repris l’année prochaine.

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