Porter à la lumière l’histoire de l’héroïne de l’opéra de Puccini en en croisant quelques-uns des airs les plus connus avec d’autres morceaux classiques, des standards américains et même une chanson de Barbara tel est le projet porté par le collectif La Boutique et c’est une superbe réussite.
Le texte de Leslie Menahem donne une couleur à la fois poétique et moderne à l’histoire de Madame Butterfly. Cio Cio San, papillon en japonais, est une très jeune orpheline qui n’a d’autre choix que de se plier au mariage éphémère arrangé entre marins américains et jeunes geishas, fréquents dans la société japonaise vers 1900. Tombée éperdument amoureuse du Lieutenant Pinkerton, elle en a un enfant puis attend naïvement son retour pendant trois ans. Il reviendra mais accompagné de son épouse américaine pour récupérer l’enfant. L’histoire est racontée par Suzuki la servante lucide qui ne parviendra pas à convaincre Cio Cio San de renoncer à ce mariage et de ne plus l’attendre. Victime d’une société où « on échange une virginité contre des dollars », d’un homme lâche et sûr de sa supériorité d’Américain, le charmant papillon ne peut que mourir.
Arnaud Guillou, lui-même chanteur lyrique, s’est attaché à une mise en scène qui sublime le jeu et les voix. Dans un décor graphique (scénographie très zen de Rébecca Dautremer), où le blanc s’allie avec élégance au bois clair des murs du théâtre de l’Épée de Bois, sont installés des sortes de lampadaires légers, autour desquels comme des papillons attirés par la lumière, se déplacent Suzuki et Cio Cio San. Tout comme les musiciens, elles sont vêtues de légers kimonos blancs qui renvoient les lumières. Un contrebassiste (Jérémy Bruyère), une clarinettiste (Emmanuelle Brunat), une bassoniste (Sophie Raynaud) et un violoniste (Boris Winter) les accompagnent, se débarrassant ponctuellement de leur instrument pour incarner un personnage, le consul américain pour Jérémy Bruyère et Pinkerton pour Boris Winter. Quatre courtes compositions originales de Graciane Finzi, conçues pour accompagner des haïkus, ponctuent le récit.
Laura Segré, à fleur d’émotion, incarne Suzuki, l’amie tendre et dévouée qui a tout compris de la lâcheté et de l’arrogance de Pinkerton et tente en vain de prévenir Cio Cio San incarnée par Céline Laly. Lorsque la soprano chante Un bel di vedremo (« sur la mer calmée ») on est au bord des larmes. Elle alterne avec d’autres airs de Léo Delibes, Gabriel Fauré ou passe à des standards américains, The man I love, ou à la chanson de Barbara Dis quand reviendras-tu qu’elle chante devant un micro, à la différence des airs classiques. La voix superbe passe d’un registre à l’autre avec une fluidité surprenante.
Laura Segré et Céline Laly, en conjuguant texte et musique, nous laissent le souvenir poignant de ce petit papillon auquel le cynisme de la société et l’égoïsme des hommes ont arraché les ailes la condamnant à mort. Un très beau spectacle qu’il faut courir voir.
Micheline Rousselet
Du 6 au 16 janvier au Théâtre de L’Épée de Bois, Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris – du jeudi au samedi à 19h, samedi et dimanche à 14h30 – Réservations : 01 48 08 39 74
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