L’époque ne serait plus aux contes symbolistes ? Et les fables iconoclastes ? Et les parodies sarcastiques ? Et les paraboles caustiques ? Et si Brisby était tout cela à la fois ? Un geste blasphématoire comme le suggère la parenthèse de son titre.

Dans un décor tout de doré vêtu jusqu’au costume, la reine Peneplaine nous reçoit. Son nom ? On dirait une contraction entre Pénélope et « morne plaine », entre Homère et Hugo ! Peneplaine attend le terme de sa grossesse mais dans un monde dévasté. Son palais est déjà un camp retranché sous un dôme protecteur au milieu du désert. « Dehors, il fait chaud et ça pue la mort » nous confie la reine. Une note d’espoir : aujourd’hui devrait naître son enfant et pourquoi pas y voir un sauveur et même, pour changer, une sauveuse ? Mais il faut un nom à la future nouvelle-née. Ce sera Brisby et nous voilà renvoyé à un conte animalier se déroulant dans une famille de souris : Madame Brisby et le secret de MINH (1971), de Robert C. O’Brien écrivain assez peu connu mais qui laissa le portrait idéalisé d’une mère courage sauvant sa famille de rats !

Nul doute que Théophile Dubus, auteur de la pièce, s’amuse à jouer sur une multitude de registres de sens dont l’arc dramatique soulève la question suivante : comment à partir d’un calcul optimal (celui de la Nature ou celui du Dieu de Leibniz) l’humanité peut-elle tout mener à la catastrophe ? Pas un conte de fée mais un compte défait !

Là où l’Histoire échouerait, l’effet théâtral réussit ! Non seulement le texte est riche mais sa mise en scène par Julie Papin et Lucas Chemel est d’une finesse et d’une intelligence remarquables. Dans un quadrilatère bien délimité, quelques objets et beaucoup de vide. Rien n’est laissé au hasard, comme si l’ordre devait y régner éternellement. Très peu d’accessoires de scène mais chacun a sa fonction dans le processus de désordre, de décomposition que le récit enclenche. Presque imperceptiblement tout se défait et l’utopie Brisby se mue en dystopie, en rêve brisé. C’est drôle mais féroce ou l’inverse.

Le principe de l’action est donc tout entier dans le texte d’où l’importance de sa mise en parole. Elle se produit et progresse par le jeu précis, tendu et modulé de Julie Papin. La comédienne incarne le personnage de Peneplaine tout en en faisant parler et vivre une vingtaine d’autres, tous féminins. Sa voix-même, enregistrée et travaillée en univers sonore, vient amplifier l’effet de monde en proie à des forces cosmiques à moins qu’elles ne soient telluriques – ou anthropiques ! Belle prouesse et grande performance de la comédienne ! Sa jeune compagnie, Le chant de la Louve, signe là un premier spectacle qui augure d’autres réussites à venir.

En attendant, laissez-vous en conter par l’étrange reine Peneplaine !

Jean-Pierre Haddad

Avignon Off. Théâtre du Train Bleu, 40 rue Paul Saïn, Avignon 84000. Les jours pairs, du 4 au 20 juillet 2024 à 17h15 . Tout public dès 12 ans.

Informations : https://www.theatredutrainbleu.fr/component/sppagebuilder/page/256

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