Lorsque deux braconniers tuent Humba, le rhinocéros que Paul Wright avait sauvé, en le sortant du ventre de sa mère tuée par un braconnier, puis élevé dans sa réserve privée au Zimbabwe avant de le libérer, le sang de Paul ne fait qu’un tour. Il part à la recherche des braconniers et n’écoutant pas les mises en garde de sa fille, n’hésite pas à tirer sur le coupable, un jeune adolescent. Lorsque James, petit éleveur noir vient chercher son fils, il ne trouve qu’un cadavre.

Éric Bouvron, qui a reçu un Molière pour Les cavaliers d’après Joseph Kessel et connu un beau succès avec son spectacle suivant, Lawrence, veut cette fois dresser un portrait de cette Afrique qu’il connaît pour y avoir passé son enfance. Il évoque la douleur des propriétaires de petites réserves lorsqu’un de leurs animaux, qu’ils considèrent comme l’un des leurs, est tué et comment la pauvreté des villageois des alentours incite au braconnage. Les premiers ont besoin des animaux pour continuer à attirer les touristes, les seconds peuvent difficilement résister aux sommes d’argent énormes que leur proposent de riches clients étrangers qui veulent des cornes d’éléphant ou de rhinocéros pour satisfaire goûts et croyances magiques. Ce sont deux « pères » qui sont face à face, un Blanc et un Noir, deux classes sociales et aussi deux générations d’Africains, James le père (interprété par Jean-Erns Marie-Louise), résigné et soumis à la domination des Blancs, Lindelani, son fils et le frère de l’adolescent tué (Francis Bolela en alternance avec Mexianu Medenou), empli de colère, sachant que la justice favorisera le Blanc, qui réclame vengeance.

Comme il sait si bien le faire, c’est le monde qu’Éric Bouvron invite sur le plateau. Avec presque rien, l’Afrique est là. Pas de décor, des vêtements de tous les jours et une formidable invitation à l’imagination du spectateur. Les bouteilles de bière descendues à grande vitesse deviennent à l’occasion cornes de rhinocéros quand celui-ci tente de fuir. Claquer ces caisses fait entendre un coup de feu, une petite roue devient volant de la jeep où les acteurs alignés se penchent et semblent sauter sur les routes défoncées de la savane. La musique, rythmée, joyeuse, inspirée de celle des townships des années 60-70 apporte un contrepoint à la violence. Elle est jouée sur scène par deux musiciens qui assurent aussi les effets sonores et se mêlent à l’occasion aux acteurs.

Le jeu des acteurs à la fois réaliste et subtilement chorégraphié est la clef de voûte du spectacle. Yannis Baraban est Paul Wright, passionné par son travail, buvant et jurant sans modération, bouillonnant de colère contre l’assassin de Humba, ce rhinocéros qu’il considérait un peu comme son enfant. Il est parfois tenté de partir mais trop amoureux de son Afrique pour le faire. Il n’écoute que sa colère quand il tue cet adolescent et met en place ce qui pourra prouver sa légitime défense. Aurélia Poirier est sa fille Cynthia qui s’occupe de la logistique du lodge et tente d’apporter un peu de raison à son père. Formée à la danse, elle manifeste une énergie formidable, bouge au rythme des cahots de la route avec un réalisme surprenant. Jean-Erns Marie-Louise et Francis Bolela (en alternance avec Mexianu Medenou) incarnent tous les autres personnages. Tous les trois font même vivre les animaux, rires stridents des babouins chapardeurs, grognements du rhinocéros acculé et surtout apparition de girafes en train de ruminer tout à fait hilarante.

Avec ce spectacle Éric Bouvron fait une magistrale démonstration de la magie du théâtre. Sans scénographie compliquée, par la seule force de l’imaginaire que l’auteur et metteur en scène fait naître, le spectateur est emporté dans cette histoire, en Afrique et auprès de ceux qui y vivent.

Micheline Rousselet

Spectacle vu le 1er juin 2023 au Festival le Mois Molière à Versailles – Repris du 7 au 26 juillet au Théâtre des Halles à Avignon

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