Une jeune migrante, qui vit de vols dans le métro, rencontre dans la cour de son immeuble un homme plus âgé, Raymond, à qui elle vient justement de voler son portefeuille. De la rencontre entre cette jeune précaire, qui dit s’appeler Ariane, sans papier, sans boulot, pleine de rage contre la société qui ne lui fait pas de place et contre les Arabes, alors qu’elle-même semble bien l’être, et cet homme solitaire, ancien boxeur devenu bibliothécaire, le dramaturge australien Timothy Daly, fait une belle histoire de transmission, sous le regard d’une ombre dont la voix ne s’élève que par le chant.
C’est la quatrième pièce de cet auteur australien le plus représenté à l’étranger, que met en scène Isabelle Starkier. Une amitié est née entre eux et, alors qu’il venait de se faire voler son portefeuille dans le métro parisien, il a décidé de l’écriture de cette pièce dont il lui a confié la mise en scène. Cette histoire de transmission ne pouvait que séduire Isabelle Starkier, qui aime les thèmes forts mettant en jeu une réflexion sur la citoyenneté. Raymond va apprendre à Ariane à transformer sa rage grâce à la boxe, mais en fait aussi le prétexte d’un apprentissage des règles de vie en société.
Sur un plateau presque nu, où seule une télé apporte en boucle des informations sur des attentats ou des naufrages de migrants, des tapis rouges permettent la circulation des deux personnages vers l’extérieur avant que des cordes, rouges elles aussi, délimitent un ring, où Raymond va entraîner Ariane. Les scènes se succèdent sur un rythme vif comme au cinéma pour ce combat, où se jouent la vie et la mort et où la détermination et la volonté de transmettre des valeurs tentent de juguler les accès de violence et de contrer la marchandisation tout azimut des rapports sociaux.
Nicolas Zaaboub-Charrier compose un Raymond plein d’humanité utilisant la boxe pour canaliser la violence d’Ariane, la pousser à dominer sa peur et transformer sa haine de l’autre en respect de la différence. A son contact, il retrouve le courage de s’interroger sur sa vie. Clara Starkier campe une Ariane concentré de révolte et de violence. Son agressivité, son côté roublard cherchant à marchander toute réponse aux questions de Raymond, persuadée que les rapports sociaux ne sont qu’échanges marchands, va peu à peu laisser entrevoir ses peurs et ses faiblesses. Sa violence va se transformer en ballet, celui de l’entraînement d’une boxeuse à la recherche d’elle-même.
La metteuse en scène Isabelle Starkier réussit en outre à offrir au texte une dimension poétique et grave grâce à la voix de la chanteuse (Lila Maski) qui mêle chant lyrique (Purcell et une cantate italienne du XVIIème siècle) et musique électro-acoustique composée par Timothy Daly. Ombre noire elle annonce la mort, revêtue d’un peignoir de satin rouge elle semble accompagner la jeune boxeuse mais elle reste la mort.
Une belle histoire d’apprentissage où s’invitent la vie, la mort et l’amitié.
MichelineRousselet
Jusqu’au 10 avril à La Manufacture des Abbesses, 7 rue Véron, 75018 Paris – du lundi au mercredi à 21h, le dimanche à 20h – Réservations : 01 42 33 42 03 ou manufacturedesabbesses.com
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