
Quel est le pouvoir de la littérature et à l’image des yeux de Madame Bovary, dont la couleur varie avec la lumière, le jugement que l’on porte sur un roman ne varie-t-il pas, non seulement en fonction de la personne qui le lit, mais aussi de l’époque où il est écrit ?
C’est à cette question que s’intéresse le metteur en scène Tiago Rodrigues qui a investi le théâtre de la Bastille tout le mois de mai. On se souvient que, pour son roman Madame Bovary, Gustave Flaubert avait été convoqué devant le tribunal pour outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. La sténographie des débats avait été commandée par Flaubert. C’est l’opposition de l’éclairage du roman donné par le procureur impérial et celui choisi par l’avocat de Flaubert qu’a choisi de mettre en scène Tiago Rodrigues. Comme, pour bien comprendre les arguments il faut se référer au texte, certains passages de Madame Bovary vont aussi être joués.
Dans un décor de châssis de bois qui supportent des loupes et qui vont ensuite s’éloigner pour figurer la pharmacie de M. Homais ou se rapprocher pour la scène du fiacre, jugée si scandaleuse à l’époque, les acteurs jettent à terre, au point d’en joncher le sol, des feuilles de papier couvertes d’écriture. Flaubert (Jacques Bonnaffé) prend la parole lisant une lettre à son amie, Elisa Schlesinger, où transparaissent ses inquiétudes tout autant que sa certitude d’avoir écrit un grand roman. Le procès s’ouvre ensuite avec les attaques de l’Avocat impérial, Ernest Pinard (excellente Ruth Vega-Fernandez) reprochant à Flaubert l’obscénité et l’immoralité de son roman qui risque d’inciter à la débauche les honnêtes femmes. Le subtil avocat de Flaubert, Maître Sénard (David Geselson) lui demande de lire des extraits de l’œuvre plutôt que de la « donner à voir avec sa loupe déformante ». Il défend l’idée que Flaubert décrit la réalité, que si le Procureur est choqué par la scène du bal, c’est la valse qu’il faut condamner et finit par suggérer que l’on enlève du dictionnaire tous les mots susceptibles de choquer comme désir, passion ou volupté. Avocat et procureur usent de sous-entendus et déploient une ironie jubilatoire qui réjouit les spectateurs. Quant aux scènes du roman qui viennent à l’appui des arguments, cela va du résumé express au réalisme, de l’évocation pleine d’humour (Flaubert et Bovary bêlant et meuglant pour créer le climat de la scène des Comices agricoles) à l’appel à l’imagination (pour la scène du fiacre), avec toujours un décalage qui crée la surprise, comme dans la scène du bal où une musique funky remplace la valse.
Cinq comédiens jouent les dix personnages retenus, Alma Palacios est Emma Bovary, avec ses rêves de passion et de liberté. Grégoire Monsaingeon est Charles Bovary, falot, amoureux transi et aveugle. L’avocat impérial et l’avocat incarnent aussi les amants d’Emma, Homais, Monsieur Lheureux etc. Sur le plateau règne une grande liberté. L’héroïne fait peut-être rêver l’Avocat impérial qui la condamne ? Alors c’est lui, devenu un des amants d’Emma qui l’embrasse à pleine bouche et réclame à Charles Bovary un verre d’eau pour reprendre haleine !
Á la fin Emma est debout serrant les feuilles de papier sur sa poitrine, Flaubert a été relaxé, le livre a connu un immense succès et Madame Bovary est devenue inoubliable.
Micheline Rousselet
Du mercredi au samedi à 20h
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette, 75011 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 57 42 14
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