Par un soir de tempête, dans une chaumière isolée, Alice Burke veille son mari, le rude et taiseux Dan Burke, qui vient de mourir. Il lui a interdit de toucher son corps après sa mort, exigeant que ce soit sa sœur qui s’occupe de la toilette mortuaire. Mais celle-ci habite loin, Alice craint la nuit et la tempête dans ce lieu isolé et ne peut le laisser seul. Elle attend. Deux hommes vont se présenter à sa porte, un étranger qui parcourt les rudes collines des alentours pour « cueillir » les histoires qu’on veut bien lui confier et un jeune berger peu expérimenté qui vit un peu plus loin. Avec ces deux hommes deux avenirs pourraient se dessiner, le second seraient bien intéressé par la femme et surtout les biens dont elle va hériter, le premier lui ouvre une sortie de son isolement et de nouveaux espaces. La bourrasque qui hurle au dehors gagne aussi l’intérieur de la chaumière et bouscule tous les esprits.
Nathalie Bécue a été séduite par l’univers du poète et dramaturge irlandais John Millingtone Synge et en particulier par ce livre Les Îles Aran où il a raconte ses rencontres avec les îliens et les légendes qu’ils lui ont contées. C’est de l’un de ses contes L’ombre de la vallée qu’elle s’est inspirée pour écrire Bourrasque . Après l’avoir vue dans L’apprentie sage-femme qu’elle avait jouée en 2012, on comprend la continuité de son travail. Ce qui l’intéresse ce sont ces destins de femmes, dans les deux cas des paysannes, qui cherchent leur voie et prennent la vie à bras le corps. Dans son texte Nathalie Bécue a su faire entendre la sauvagerie de la nature, le vent, la pluie et la vie rude de ceux qui y habitent. Elle a su aussi traduire les pensées tourmentées des quatre personnages, attribuant à John, l’homme qui cueille les histoires, la démarche de Synge lui-même, dans les Îles d’Aran.
Dans la mise en scène de Félix Prader on reste enfermé dans la chaumière avec le mort assis ou couvert d’un drap et l’extérieur n’apparaît qu’inquiétant, avec le bruit amplifié du vent ou des coups à la porte. Seuls les hommes qui arrivent apportent l’image d’un ailleurs possible pour cette femme qui s’est laissée enfermer dans la solitude au point d’être obligée de parler aux arbres.
Nathalie Bécue, en robe paysanne et petit gilet de laine bleue avec de gros bas de laine incarne Alice, qui parle de sa vie avec cet époux taiseux porté sur le whisky. Elle caresse la couverture de poils de chèvre tout en parlant. Calme elle dit qu’aucun vivant ne lui a jamais fait peur, c’est d’autre chose qu’elle a peur, puis soudain la colère l’emporte quand elle pense à l’ennui de sa vie, « fosse à chagrin, marécage de tristesse » et se dit qu’elle a peut-être fait le mauvais choix en se condamnant à « regarder les saisons passer ». Philippe Smith est John, celui qui ramasse les histoires, vagabond céleste qui amuse Alice avec un tour de magie, lui donne les nouvelles de la vallée et surtout lui parle d’un ailleurs. Théo Chedeville est Michaël Dara le marin devenu berger. Pierre-Alain Chapuis est Dan Burke le mort qui survit. Il est puissant, violent, ravagé par sa colère contre tous, sa femme, son père mais aussi contre lui-même. On le sent dévoré par l’amertume, « bouffé par la tristesse » comme le dit Alice, mais peut-être capable de rebondir loin de sa femme.
On se laisse emporter par le récit. On est dans ces îles irlandaises battues par le vent et la pluie et on rejoint John quand il dit « Après des veillées solitaires je peux dire que les gens d’ici ne sont pas insignifiants »
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30
Théâtre de La Tempête
Cartoucherie
Route du Champ-de-Manoeuvre, 75012 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 43 28 36 36
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