Dominique Blanchard devenue Dominique Dimey, comédienne et chanteuse, nous raconte sa rencontre romanesque et improbable avec son père lorsqu’elle avait 20 ans en 1978. Elevée seule par sa mère à Châteauroux, ses études terminées, elle décide d’aller à Paris suivre les cours de théâtre de Jean-Laurent Cochet, elle joue aussi de la guitare et chante dans le métro. Elle s’installe à Montmartre dans une chambre près de la rue Lepic. Là elle croise régulièrement « un gros bonhomme barbu » qu’elle prend pour un peintre de la place du Tertre. Un jour, elle découvre une affiche sur une colonne Morris annonçant un récital du bonhomme barbu, Bernard Dimey à la salle Pleyel. Elle décide de s’y rendre. A la fin du spectacle, comme d’autres spectateurs, elle s’attarde et se retrouve seule avec lui qui l’invite à venir « casser la graine ». S’ensuivent plusieurs rencontres notamment au Lux-Bar, haut lieu de la bohème montmartroise des années 1970-1980. Il l’interroge sur sa vie et lui dit : « C’est con mais tu vois, je crois bien que je pourrais être ton père ». Sa mère le lui confirme et c’est pour elle un choc terrible. Ils vont apprendre à se connaître et ne se quitteront pratiquement plus jusqu’à la mort prématurée de Bernard Dimey en 1981.
Ce spectacle est un vibrant hommage à son père. Elle fait revivre le poète et grand parolier peu connu du grand public qui a écrit pour de nombreux chanteurs : Montand, Aznavour, Reggiani, Henri Salvador, Patachou, Juliette Gréco, Mouloudji… Iggi Pop et Renaud ont même repris ses textes. Laurent Derache à l’accordéon ou Charles Tois au piano ouvrent le spectacle sur un medley et Richard Bohringer dit en off d’ une voix grave et profonde le poème testamentaire de Bernard Dimey Lorsque mon cœur sera. Sa fille apparaît ensuite sur scène et fait le récit de cette rencontre avec beaucoup de sensibilité, d’émotion mais aussi d’humour en alternant chansons et poèmes de son père un peu comme si elle tournait les pages d’un livre. Avec la complicité de son excellent musicien, elle nous fait entendre les textes de son père très forts souvent engagés emprunts de gravité, de tendresse ou de drôlerie comme Les enfants de Louxor, L’Enfant maquillé, Les pauvres, Tu ne m’as pas encore eu cette fois, La vieille et Le bestiaire d’autre part vraiment hilarant ainsi que Syracuse au dernier couplet adapté qui clôt le spectacle.
Si Dominique Dimey rend un hommage touchant au poète, elle parle aussi avec une grande justesse d’un thème universel : ce que peut ressentir tout enfant ou jeune adulte quand il découvre un père qui ne correspond pas à ses rêves d’enfant. Elle nous confie également l’ambiguïté de ses sentiments : à la fois un grand bonheur, une joie extrême mais aussi son ressentiment, sa colère. Ce n’est pas par hasard que son premier spectacle s’intitulera Moi, j’aime pas les papas.
Sous les lumières intimistes de Stéphane Baquet, Dominique Dimey évolue dans un décor sobre, discret et élégant de Nils Zachariasen qui permet habilement de différencier les lieux évoqués : le Lux-Bar, l’appartement de Bernard Dimey, sa chambre, les rues de Montmartre avec la colonne Morris et un grand portrait du parolier sur fond de pavés parisiens. La salle voûtée du théâtre de l’Essaïon nous plonge également dans l’ambiance de cette période où Brassens, Gréco, Barbara et autres grands de la chanson française se produisaient. La mise en scène délicate de Bruno Laurent, qui a conçu avec Dominique Dimey ce spectacle, participe à sa réussite.
Dominique Dimey a réussi à créer un spectacle poétique, musical, intime, tendre et humoristique pour faire vivre son père, grand poète et parolier, malheureusement peu connu du grand public. Précipitez-vous pour entendre sa fille interpréter les chansons et dire les poèmes de cet immense auteur épicurien épris de liberté et de justice.
Frédérique Moujart
Du 13 septembre au 18 janvier, les mardis et mercredis à 21h au théâtre de l’Essaïon, 6 rue Pierre au Lard, Paris 4ème. Réservation : 01 42 78 46 42 ou www.essaion.com
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