En 1946, Kirsten se souvient de l’époque où, dans les années 1930 à Berlin, elle tenait un de ces cabarets qui faisaient souffler un grand vent de liberté dans la capitale allemande. Entourée de son fils, qu’elle n’aime pas et qu’elle a transformé en « danseuse » aux tenues aguichantes, d’un ex-amant auteur, d’un pianiste compositeur et de deux musiciens, elle nous entraîne dans sa gloire passée. Mais à Berlin ces années-là, la misère hantait les rues et on commençait à entendre les échos de la montée du nazisme. Kirsten et son cabaret sont vite devenus une cible avec ce fils affichant son homosexualité par ses tenues et ses attitudes provocantes. Si on y ajoute que son pianiste est juif, communiste et homosexuel et que les textes de son ex-amant, lui aussi juif et communiste, se moquent constamment d’Hitler, on comprend bien que son cynisme et ses relations avec les nazis ne suffiront pas à la protéger.
Dans le dispositif imaginé par Stéphan Druet, aussi auteur du texte et de certaines des chansons, les spectateurs sont comme au cabaret autour de petites tables et peuvent boire un verre en écoutant Kirsten raconter l’histoire de son cabaret et en recréer l’ambiance. On y entend bien sûr Kurt Weill, Friedrich Hollaender, le compositeur de L’Ange bleu , d’autres aussi des années 30 et des compositions de Stéphane Corbin, qui joue également le rôle de Fritz, le pianiste. On passe ainsi au gré de l’histoire de l’ Opéra de Quat’sous à Ich bin die fesche Lola , du Grand Lustucru de Kurt Weill à Qui a peur du Grand Méchant Loup en passant par Je cherche un millionnaire. Derrière les paillettes du cabaret et les chansons, on entend le bruit lointain des manifestations nazies, celui des vitres brisées des magasins tenus par des Juifs ou des flammes des autodafés. Kirsten et son fils Viktor glissent d’un vêtement à l’autre ajoutant les dentelles aux sequins, les guêpières aux déshabillés. Les costumes folkloriques sont au service des moments satiriques, les maquillages expressionnistes soulignent les teints blafards et les yeux charbonneux. Sur un rythme rapide les acteurs changent de costumes, les solos alternent avec les duos et les trios et l’allemand avec le français.
Marisa Berenson prête sa silhouette longiligne, ses longues jambes gainées de noir à la meneuse de revue. Sa large bouche et ses grands yeux évoquent les visages peints par les expressionnistes allemands. Vêtue d’un déshabillé or et noir, elle évoque une de ces prostituées échappée d’un tableau de Grosz. Sa voix rauque fait revivre le souvenir des grandes chanteuses du Berlin des années 30. Jacques Verzier évoque Karl Valentin ou Brecht. Il a l’ironie un peu désespérée des auteurs chez qui la satire sociale le disputait à la critique politique dans une République de Weimar agonisante. Sebastiàn Galeota incarne un magnifique Viktor, flamboyant, n’hésitant pas à interpeller le public, provocateur indécent mais jamais vulgaire. Il danse à merveille, porte la guêpière et les hauts talons crânement et sa voix passe de la gouaille à la sensualité sans effort.
La scène du Poche est petite mais on l’oublie. Grâce au talent de ces comédiens, chanteurs et musiciens (Simon Legendre au piano, Loïc Olivier aux percussions et Victor Rosi au cornet) on se retrouve dans l’ambiance de ces cabarets, à l’époque où Berlin brillait par son cosmopolitisme, ses audaces et sa liberté, tandis que le nazisme commençait à gronder au dehors.
Micheline Rousselet
Du jeudi au samedi à 21h, le dimanche à 17h30
Théâtre de Poche Montparnasse
75 boulevard du Montparnasse, 75006 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 44 50 60 67
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