Un homme, Boris, et une femme, Andrea, sur un parking désert. D’elle on ne voit que ses jambes et ses chaussures rouges, dépassant de la voiture jaune. Elle ne veut plus aller au restaurant où il l’a invitée, car il a commis l’erreur grossière de lui dire que celui-ci lui avait été conseillé par sa femme. De querelle en querelle, il décide de partir et renverse, sans gravité, une femme qui passait derrière la voiture. Elle est venue avec son fils et sa belle-fille pour fêter son anniversaire dans ce même restaurant et il semble que les deux couples se connaissent un peu. Partir ou rester, mentir ou ne pas dire les choses, finir par révéler ses failles, menacer ou demander de l’aide pour mieux la refuser, autant de situations pleines de contradictions qui vont ponctuer cette soirée ratée au terme de laquelle Andrea demandera à son amant, pour ce dernier soir, de faire comme les grands flambeurs, bella figura .
On reconnaît vite la petite musique de Yasmina Reza. Sous des situations et des répliques de comédie se cache un ton plus grave. Elle sait, avec finesse, dire ces moments où les femmes et les hommes se blessent, volontairement ou involontairement. Elle maîtrise bien ces petites phrases assassines, ces maladresses qui font mal. Tous ces personnages sont très seuls, repliés sur eux-mêmes, avalent des cachets pour oublier le vide de leur vie et le manque d’amour.
Yasmina Reza a mis en scène la pièce qu’elle a écrite. Les scènes s’enchaînent avec rapidité, des vidéos floues accompagnent, dans la pénombre, le passage d’une scène à l’autre et les changements de décor. On glisse du parking à la terrasse ou aux toilettes du restaurant. Les grenouilles croassent bruyamment, comme un écho à ces disputes qui ont l’air futiles, mais reflètent des amours déçus, des moments d’exaspération qui confinent à la haine, des appels au secours hurlant de silence. Yasmina Reza fait des obsessions autour des chaussures et des sacs à main à la fois un élément de comique mais aussi un révélateur de sentiments plus profonds. Andrea a choisi ces chaussures rouges qui lui ont coûté très cher et lui martyrisent les pieds, « des chaussures de rêve pour une soirée féerique » dit-elle avec ironie.
La metteure en scène a surtout choisi d’excellents interprètes. Tous jouent à merveille de cet équilibre entre situations comiques et choses graves, entre désir de coller à l’image sociale attendue et failles personnelles, entre ce qu’on donne à voir et les moments où le vernis social craque et où l’on montre ce que l’on peut ressentir à l’égard de l’autre, une exaspération qui confine parfois à la haine. Micha Lescot est cet « ami » technocrate, froid qui veut tout faire comme il faut, contient ses exaspérations mais révèle à l’occasion sa cruauté ou sa peur d’être seul. Louis-Do de Lencquesaing est Boris, l’amant qui voudrait être celui qui a les cartes en main mais qui perd vite la main et se révèle perdu. Josiane Stoleru donne une image drôle mais cruelle de la vieillesse, mise hors-jeu et figée dans son égoïsme par son impuissance. Reste Andrea, admirablement interprétée par Emmanuelle Devos. Son visage est le miroir de tous ses sentiments contradictoires. Elle s’excite à l’idée d’aller faire un tour en hélicoptère, s’inquiète de savoir si sa robe n’est pas trop courte et vulgaire, se penche avec gentillesse sur la vieille dame, se ferme quand son amant lui montre les limites de son attachement. Elle fume cigarette sur cigarette, évoque une envie de partir ailleurs et dans la seconde dit qu’elle ne tient à rien tant qu’à la routine. Innocente ou perverse, attentive à l’autre ou exaspérante, joyeuse ou désespérée, elle est tout cela et c’est un régal de la regarder et de l’écouter.
Micheline Rousselet
Du mardi au samedi à 21h, le dimanche à 15h, relâche les 11 et 14 novembre et le 5 décembre
Théâtre du Rond-Point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris
Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 44 95 98 21
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