Le court récit d’Herman Melville pose tant de questions que nombre de philosophes se sont penchés sur le personnage de son « héros » Bartleby pour en donner leur interprétation. Le comédien, metteur en scène et directeur du théâtre de Lorient, Rodolphe Dana, interpelé lui aussi par ce personnage, propose une adaptation théâtrale du récit de Melville.
Ses deux employés aux écritures aidés d’un jeune grouillot ne suffisant plus à accomplir tout le travail dans son étude, un homme de loi se décide à embaucher un nouvel employé Bartleby. Au début celui-ci donne toute satisfaction, réalise une quantité impressionnante de copies, se contentant de déjeuner sur place de quelques gâteaux au gingembre. Puis vient le grain de sable, quand son patron lui demandant de relire avec lui un acte, Bartleby répond « Je ne préférerais pas ». Ce sera sa réponse à toute demande autre que la copie. Très vite son patron découvre qu’il ne quitte plus l’étude, qu’il y dort. Vient un moment où il refuse même de copier. Enfermé dans sa solitude il refuse « d’être un tout petit peu raisonnable » et répond à toute demande « je ne préférerais pas ». Il refuse d’être licencié et de quitter les lieux, plongeant son patron dans un mélange d’irritation mais aussi de pitié et c’est tout le système qui déraille.
Pour cette phrase « je ne préférerais pas » qui revient sans cesse et qui enclenche le drame, on aurait préféré que Rodolphe Dana adopte la traduction plus littérale, souvent proposée, « je préférerais ne pas ». Sa mise en scène semble d’abord s’installer dans le comique, avec des apparitions intermittentes et à contre-temps de Bartleby, le nouveau copiste. Des plantes vertes tiennent la place des deux employés aux écritures et du jeune grouillot et pour celui-ci la plante est plus petite ! L’homme de loi, interprété par Rodolphe Dana, se déplace en semblant éviter les tables et les employés comme si l’agitation régnait dans le bureau où passe un chariot couvert d’une montagne de dossiers. Dormant au bureau qu’il ne quitte plus, Bartleby se montre recouvert d’une couverture de survie, se dénudant à moitié comme un homme à qui il ne reste plus rien, excepté un emploi, qu’il n’assure même plus mais qu’il refuse de quitter. Peu à peu le ton a changé et est devenu plus sombre. Lorsque Bartleby commence à répondre à toute demande « Je ne préférerais pas », tout déraille. Les employés s’énervent, le patron, d’abord exaspéré, puis compatissant, tente en vain de le ramener dans le camp de la raison, de la vie. Mais Bartleby s’enfonce dans une négation mortelle.
Même si on peut regretter qu’il éclipse un peu trop la présence de son partenaire Adrien Guiraud, Rodolphe Dana met bien en valeur le texte de Melville. L’absurdité du monde du travail devient absurdité tout court. On pense à Kafka et à Beckett et c’est un plaisir.
Micheline Rousselet
Du 15 au 18 septembre au Théâtre de Lorient – 2 et 3 février 2022 à la Maison de la Culture de Bourges – 24 et 25 février 2022 au Préau, CDN Normandie-Vire – 1er au 17 avril 2022 (relâche les 5 et 12 avril) au Théâtre Gérard Philipe, CDN Saint Denis (93)
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