Offrant une variation féministe et pleine d’ironie du conte de Perrault, Amélie Nothomb s’éloigne de sa morale – la curiosité est un vilain défaut – et met face à face un monstre séduisant et une jeune femme qui n’est pas prête à se laisser faire. Don Elemirio, riche aristocrate espagnol, propose à des jeunes filles fauchées la location, pour presque rien, d’une chambre dans son somptueux hôtel particulier du septième arrondissement de Paris. Saturnine, professeur à l’École du Louvre est tout de suite acceptée par Don Elemirio. Tout l’hôtel lui est ouvert, même la petite chambre où il lui est interdit d’entrer. Elle sait que huit jeunes filles ont disparu avant elle, mais trop soucieuse de quitter le canapé qu’elle squatte en banlieue chez une copine, elle accepte. D’autant plus, qu’en esthète raffiné, amateur d’art et de photographie, Don Elemirio la séduit avec des mets aussi beaux que succulents, la régale des champagnes les plus coûteux et lui offre une robe somptueuse, couleur champagne justement. Entre eux s’établit une relation cérébrale mais aussi sensuelle, où la sexualité est sans cesse frôlée et évoque certains films de Luis Buñuel. Qui va gagner dans ce duel entre Don Elemirio, épris de beauté en toutes chose et qui se dit amoureux, et Saturnine qui se laisse séduire ?
Frédérique Lazarini dit qu’elle avait envie de travailler sur le conte car leur lecture alimente l’imaginaire. Or le roman d’Amélie Nothomb en offre une relecture passionnante et se prête bien à l’adaptation théâtrale puisqu’on y trouve beaucoup de dialogues. La metteuse en scène joue de tous les registres. Un livre de conte à la reliure ancienne apparaît dans les mains de celle qui conduit le récit, des vidéos apparaissent sur le mur, drôles comme la file d’attente des postulantes pour la chambre coiffées d’un chapeau digne de l’autrice, ou effrayantes comme l’extrait du Barbe Bleue de Méliès avec ses femmes pendues. Les murs sont tendus de rideaux d’or, les draps et le baldaquin du lit éclatent de blancheur, la table immense accueille des pyramides d’œufs, des coquetiers énormes et un Saint Honoré géant. L’or est omniprésent, dans les flûtes de champagne, dans la robe de Saturnine, dans les rideaux du décor et n’est-ce pas un peu normal puisque le prénom de l’héroïne renvoie au plomb que les alchimistes cherchaient à transformer en or. Comme Saturnine, le spectateur est surpris, admiratif devant tant d’inventions et de beauté et un peu effrayé quand il découvre le secret de Don Elemirio.
Lola Zidi incarne une Saturnine qui se méfie de ce Don Juan dont elle soupçonne le côté noir mais qui se laissera pourtant séduire. De l’ombre surgit Pierre Forest (Don Elemirio) colosse à barbe grise, collectionneur obsessionnel, faisant apparaître robes ou plats comme par magie et rappelant lorsqu’il porte une tête de lion un autre conte, La belle et la bête. La metteuse en scène a étoffé le rôle du majordome Mélaine. Cédric Colas en habile magicien, vêtu d’un habit violet, virevolte, bat les œufs, avertit par signes Saturnine de certains dangers et apporte la touche d’ironie qui enrichit le conte.
Un spectacle plein d’esprit et d’intelligence servi par une mise en scène très réussie et de très bons comédiens.
Micheline Rousselet
À partir du 27 février à l’Artistic Théâtre, 45 rue Richard Lenoir, 75011 Paris – le mardi à 20h, le mercredi à 17h, le jeudi à 19h, le vendredi et le samedi à 20h30, le samedi à 17h, le dimanche à 16h (changements d’horaires en avril) – Réservation : 01 43 56 38 32 ou www.artistictheatre.com
Des militants partagent ici des critiques littéraires, musicales, cinématographiques ou encore des échos des dernières expositions mais aussi des informations sur les mobilisations des professionnels du secteur artistique.
Des remarques, des suggestions ? Contactez nous à culture@snes.edu