La pièce monologuée Bambina, écrite et jouée par Serena Reinaldi, s’inspire librement de l’affaire du Rubygate. En 2010, Berlusconi, le Cavaliere habile et cynique, était accusé puis inculpé d’incitation à la prostitution de mineure et abus de pouvoir. Il avait eu des relations sexuelles avec une italo-marocaine surnommée Ruby Rubacuori âgée alors de 17 ans. Non seulement l’actrice italo-française va plus loin, mais elle élargit aussi le propos, passant du scandale de mœurs au plus haut niveau de l’État à la remise en question de toute la société, en passant par la mise en accusation de la domination masculine de la femme.

Plus loin, car, par un intelligent retournement du stigmate – « Pas victime même si coupable! » s’écrie Bambina –, cette femme-courage s’engage politiquement et affronte les politiciens véreux. De la vraie politique, pour changer la société, depuis ses structures économiques minées par le capitalisme jusqu’à ses arcanes inconscientes, matriarcales dans la vie domestique et patriarcales au dehors.

La révolution ne fait pas peur à Bambina, enfant tyrannisée par une mère castratrice et, à peine plus tard, « petite » du « papi » opportuniste, corrompu et obsédé. Une révolution, ça commence par une révolte, ce « sursaut de la conscience » dont parlait Camus. Et une révolte, ça se vit dans tout le corps, par tous les neurones de la pensée et tous les mots interdits qu’on se donne le droit de gueuler, aussi bien dans une solitude rageuse qu’au visage des hommes de pouvoir ou de médias, aux oreilles d’un pape et, pourquoi pas, à la face de Dieu ?! N’est-il pas enfin temps que Dieu soit une femme rebelle ? La révolte n’empêche pas l’humour. Rien n’arrête la subversion et les rêves de Bambina, femme au discours libertin et libre. Souvenons-nous que dans l’Antiquité, les hétaïres étaient des femmes émancipées et cultivées, souvent compagnes de grands hommes, comme Aspasie avec Périclès, ou de philosophes, comme Léontion avec Épicure.

Plus large. La révolte ne se retient pas, elle emporte tout dans son tourbillon et d’abord cette tenace domination masculine qui soumet aussi ses principaux intéressés. Domination et faiblesse, le paradoxe étant que les hommes machos ou forts socialement sont souvent faibles devant le sexe… faible ! Ils ont la faiblesse de se croire autorisés à céder à leurs pulsions. Ce faisant, ils se soumettent à elles et à celles qui font commerce de les assouvir… C’est ainsi qu’une pute de luxe peut alors « tenir par les couilles », sans honte et sans les mains, le gratin politique. Parler, tout dire, révéler et même faire chanter, c’est l’arme des sans armes.

Seule en selle, Bambina livre bataille et se voit haranguer les foules. Foules de femmes d’abord. Que les vrais hommes les rejoignent ! Ceux qui ne se croient pas plus que la petite moitié du genre humain…

La comédienne est seule en scène, mais tellement plurielle ! Elle se démultiplie en autant d’affects, de cris, de dénonciations, de figures que provoquent ou convoquent la folle énergie de la révolte, le joyeux délire libérateur de Bambina. Dans un décor noir et sobre, relevé parfois par des vidéos en écho, Serena Reinaldi incarne, désincarne, réincarne Bambina et surtout la délivre, et la sublime. En 2005 à Avignon, la comédienne avait créé « Parole, Parole » d’après « Récits de femmes » de Franca Rame et Dario Fo. Sur la scène du Théâtre Lepic, elle joue une condition féminine révoltée qui en appelle à un être-femme sans conditions.

La scénographie de Sébastien Rajon est très physique, comme l’est par ailleurs son travail d’acteur expressif. Une mise en scène qui permet à la comédienne d’incorporer le personnage sous diverses postures et tenues. Le décor noir et ses variations de lumières sont propices à l’explosion de mille idées en actes, comme la nuit donne ses couleurs à un feu d’artifice.

Sur scène, une histoire de call-girl se change en une mise en question du monde.

Jean-Pierre Haddad

Tous les mardis, jusqu’au 14 décembre (relâche le 26 octobre), à 19h au Théâtre Lepic, 1 avenue Junot, 75018. Réservations : à partir de 17h au 01 42 54 15 12 ou sur billetterie@theatrelepic.com

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