Racine écrit Bajazet, en s’inspirant de l’histoire récente de ce prince que lui avait contée l’Ambassadeur de France à Constantinople. Le Sultan Amurat est parti assiéger Babylone en laissant le pouvoir à sa favorite Roxane. Il envoie un émissaire au Sérail pour demander qu’on assassine son frère, Bajazet, ce qui était l’habitude de maints sultans pour éviter que leur frère ne complote pour s’emparer du trône. Le Grand Vizir Acomat, se sentant lui-même menacé, fait assassiner l’émissaire et tente de se rapprocher de Roxane et de Bajazet afin que celui-ci prenne le pouvoir. Roxane tombe amoureuse de Bajazet et le somme pour lui éviter la mort de l’épouser, ignorant que celui-ci aime depuis toujours Atalide. Bajazet résiste. Mais sous la pression d’Acomat qu’aide Atalide, soucieuse de sauver son amant, il feint d’accepter. Roxane doute de l’amour de Bajazet, découvre qu’il aime en fait Atalide et tente une dernière menace. Sans succès, elle décide alors de les dénoncer à Acomat, qui décide de prendre lui-même le pouvoir et d’éliminer Roxane. Mais l’arrivée d’un messager du Sultan précipite le dénouement. Les soldats tuent Roxane et Bajazet, Atalide refuse de fuir avec Acomat et se donne le mort.

Eric Ruf avait créé la pièce il y a quatre ans au Vieux Colombier, elle avait tourné depuis. Il la reprend tel un oratorio dans l’espace plus exigu du Studio Marigny et, COVID obligeant, sans rapprochements et sans luttes. Il nous donne à entendre les vers raciniens sans décor et sans costumes. Seuls les éclairages (Bertrand Couderc) isolent un personnage ou un groupe et la lumière quitte le personnage quand il s’éloigne. Faisant vivre l’enfermement du Sérail, les acteurs sont confinés autour d’une table, texte à la main ou devant eux. Ils ne les lisent pas, ils se regardent, tournent les pages, quelquefois à toute vitesse quand un récit fait avancer l’action rapidement. Seule ouverture, le fond de scène est occupé par une magnifique miniature persane, œuvre d’Eric Ruf lui-même. Elle permet d’évoquer le siège de Babylone et affiche en permanence le pouvoir absolu du Sultan. Il envoie ses messagers et est de toutes les conversations, figure de crainte et de haine pour tous ceux qui vivent au Sérail et savent que leur vie est suspendue aux caprices du Prince, qui peut apparaître à tout moment. C’est sur cette miniature qu’une goutte de sang rouge viendra signer la fin de la tragédie.

Sans scénographie, la tragédie se centre sur le jeu et les acteurs font vibrer les alexandrins qui, selon les mots d’Antoine Vitez « ne sont pas une gêne, mais l’instrument même de la cruauté ». Et dans ce registre les acteurs de la Comédie Française excellent. Hervé Pierre est un formidable vizir calculateur, Birane Ba campe un Bajazet, objet de tous les désirs, tiraillé entre son amour pour Atalide, et le désir de sauver sa vie et celle de sa bien-aimée en cédant au désir de Roxane. Clotilde de Bayser fait entendre toute la complexité de Roxane. Elle connaît son pouvoir et passe d’un ton impérieux à la tendresse amoureuse et à la sensualité. Elle ordonne, elle doute, elle est jalouse, dépitée et prête à la vengeance la plus terrible. Elissa Alloula, la benjamine de la troupe, incarne une Atalide déchirée. Elle aime Bajazet, elle espère la compréhension de Roxane mais hurle de douleur quand elle comprend qu’elle n’a d’autre solution que de céder son amant à Roxane pour lui sauver la vie.

Le spectateur ne peut se laisser distraire par un décor ou des costumes, il reste accroché aux vers, aux émotions et les nombreux rappels témoignent de la beauté de cette mise en scène.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 15 novembre à la Comédie Française Studio Marigny – Studio Marigny – Carré Marigny, 75008 Paris – Réservations : 01 44 58 15 15


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