Une atmosphère étrange, des meubles couverts de tissus comme dans une villa délaissée, un homme tourne et vire, regarde, un autre vient l’aider à dresser un grand écran. La musique s’installe commandée par un homme assis dans un coin devant un ordinateur. L’homme fait semblant de jouer, de chanter dans un play-back ostensible. Un autre arrive manuscrit sous le bras et dit qu’il sait tout. Peu à peu, on comprend que le premier Gérard est producteur et metteur en scène et qu’il veut raconter des fragments de la vie d’un de ses amis retrouvé pendu. Pour cela il a réuni deux acteurs, l’homme au manuscrit, Armand, et une femme qui récite du Baudelaire et joue avec un accent du Midi trop prononcé pour être honnête ! Ils sont là pour jouer quoi ? Un film, si l’on en croit l’écran, mais on est au théâtre. Alors on fait comment ? Une voix off au théâtre cela n’a pas de sens. Et puis par où commencer ? Par le début bien sûr, mais c’est quoi le début ? Au cinéma on peut aussi commencer par la fin et faire un flash-back. Et puis si au cinéma on a les images, au théâtre il faut jouer sur les accents, le son, les bruits.

Serge Valletti, auteur de nombreuses pièces de théâtre et qui a écrit avec Robert Guédiguian ses trois derniers films, se livre ici à une mise en abyme réjouissante. On oublie l’histoire de l’ami mort pour se perdre dans les petites passions et les jalousies entre le metteur en scène, l’acteur et l’actrice, avant de revenir à l’histoire du défunt. Serge Valletti se moque de tout avec un sérieux digne d’une tragédie grecque (corse en l’occurrence).

Hovnathan Avédikian met en scène la pièce en jouant beaucoup sur ce mix cinéma-théâtre et sur le ressort comique de ce qui pourrait être une tragédie. Les sons, qui jouent un grand rôle, oscillent du bruit d’une cloche à l’emphase de l’opéra, de la musique des films de suspense de Hitchcock aux chants traditionnels corses. On passe d’une scène à une autre avec du noir comme au cinéma. Enfin, image de la complexité de l’affaire, un capharnaüm de meubles et d’objets encombre la scène. En émergent un canapé de cuir élimé, une mallette, un casque de moto et surtout une armoire. Les personnages y entrent, en sortent ou se glissent derrière à quatre pattes.

Les acteurs se coulent avec aisance dans le côté loufoque de l’entreprise. Avec des voix parfois forcées, un accent surjoué, ils jouent une scène de rupture comme dans une tragédie marseillaise. D’autres fois on se croirait dans le discours de Stanislavski, Gérard, le metteur en scène, demandant aux acteurs de cesser de penser, de s’abandonner. Hovnathan Avédikian en alternance avec David Ayala campe un Gérard, énervé, oscillant du comique au tragique quand il tente de séduire l’actrice. Joséphine Garreau est hilarante en apprentie comédienne, n’ayant pas l’air de prendre son rôle très à cœur, récitant du Baudelaire avec l’accent marseillais, moulée dans une robe de lamé noir en femme fatale ou coiffée d’une perruque brune pour incarner la femme corse abandonnée par son époux. Nicolas Rappo est l’acteur qui cherche à comprendre tout en menant sa propre petite histoire.

Et le spectateur va-t-il s’y retrouver ? Comme le dit un des protagonistes, « c’est du théâtre moderne. Si cela ne lui plaît pas qu’il aille voir des classiques ! » Qu’il s’abandonne lui aussi. Il rira et verra que, sous son côté un peu déjanté et ses nombreuses mises en abyme, la pièce pose avec humour des questions sérieuses sur le théâtre.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 4 juillet au Théâtre du Rond-Point – 2 bis avenue Franklin D. Roosevelt, 75008 Paris – Réservations : theatredurondpoint.fr ou 01 44 95 98 21 – du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h30

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