Au début il y a un jeune homme, un Africain, qui court aussi vite qu’il le peut pour passer clandestinement la frontière qui le sépare de l’Europe. Mais échapper aux garde-frontières et à « l’homme fusil » ne suffit pas pour commencer une autre vie. Pourquoi quitte-t-il son pays, on ne le saura pas. Ce qu’on voit, c’est la violence à laquelle il est confronté, celle brutale de la police et celle plus insidieuse mais ravageuse des institutions, c’est le racisme de ceux qui lui parlent « petit-nègre » et ne peuvent même pas imaginer qu’il a fait des études. Sa route croisera celle de Salima, une Algérienne historienne et poète révoltée, qui comme Rimbaud a écrit des Lettres d’Abyssinie , et sur un quai de métro celle de Gina, qui sera sa Juliette.

Le texte de Sidney Ali Mehelleb passe du réalisme à la poésie. Dans le premier registre, on peut mettre le langage cru de Gina, jeune fille accrochée à sa console de jeux, la bureaucratie à laquelle se heurte Babacar dans sa quête de papiers, ou la violence policière. Mais on s’en éloigne aussi avec cette rencontre sur un quai de métro de Gina et de Babacar, modernes Roméo et Juliette et avec la présence récurrente d’un personnage un peu énigmatique, Monsieur H, incarnation de l’Histoire et du caractère répressif et souvent imprévisible des institutions. Tout n’est pas manichéen dans cette histoire. Les flics peuvent être violents et sadiques ou un peu poètes et compatissants. Salima, cultivée et poète, garde son humour caustique face à un éditeur assoiffé d’histoires qui font vendre. L’histoire est forte, même si la pièce gagnerait à être un peu raccourcie, débarrassée de scènes annexes comme cette trop longue citation de L’Avare de Molière.

Théâtre : Babacar
Théâtre : Babacar

La mise en scène de l’auteur est forte elle aussi. La frontière est au centre du dispositif scénique : fils tendus à mi-hauteur qui cassent brutalement, lignes tracées sur le sol comme le grillage qu’il faut arriver à passer, comme les quais qui séparent Gina et Babacar, comme les lignes des pistes d’envol dans un aéroport. Les personnages sont tous sur scène, comme un chœur antique, assis dans des fauteuils à roulettes sur les côtés de la scène. Brusquement ils s’élancent se dressent, se lancent dans une chorégraphie à la violence désordonnée, brandissant des clubs de golf, comme les héros d’ Orange mécanique. Ils sont les Bouffons, ils interpellent « Approche, viens, t’as peur ? »

Mexianu Medenou est Babacar, jeune homme sûr de lui et frimeur, qui gagne peu à peu en sérieux et en gravité. Vanessa Krycève incarne Gina. Elle délaisse son langage cru et sa console de jeux où elle joue d’interminables parties de foot pour devenir une jeune femme qui tente de sauver son amour. Ils ont les élans de Roméo et Juliette et une énergie superbe. Fatima Soualhia Manet est Salima, proche de ses compagnons d’enfer et qui a perdu ses illusions. Nicolas Buchoux campe un Monsieur H, énigmatique et inquiétant.

Cette pièce vaut tous les documents sociologiques sur le monde où évoluent les sans-papiers, ces ombres que l’on croise tous les jours, sur toutes ces frontières absurdes, celles qui séparent les pays et celles que dressent les hommes entre eux. Mais elle est beaucoup plus car il y a dans l’écriture un souffle dramatique, une poésie violente et des images fortes qui resteront.

Micheline Rousselet

Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h

Théâtre 13 / Seine

30 rue du Chevaleret, 75013 Paris

Réservations (partenariat Réduc’snes tarifs réduits aux syndiqués Snes mais sur réservation impérative) : 01 45 88 62 22


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