Avec sa compagnie du passage, Hélène Darche adapte et met en scène un film d’Ingmar Bergman réalisé en 1957 Au Seuil de la vie. Quand la pièce commence, nous sommes dans une chambre dans une maternité plongée dans l’obscurité. Une jeune femme en train de faire une fausse couche à trois mois de grossesse, Cécilia, jouée par Pernille Bergendorff se tord de douleurs. Puis la lumière apparaît et l’ univers blanc clinique avec trois lits contraste avec le noir du début comme dans les films en noir et blanc de Bergman et renforce la tension dramatique. Cécilia va partager la chambre avec deux autres femmes : Stina, jouée par Sofia Maria Efraimsson qui est sur le point d’accoucher et Hjørdis, Pénélope Driant, qui a fait une tentative ratée d’avortement. Elles sont prises en charge par Sister Britta, Gwladys Rabardy, qui campe une infirmière qui sous son apparence de rigidité va se révéler d’une grande sensibilité et d’une grande aide.

Dans ce huis clos, Hélène Darche dresse quatre beaux portraits très touchants de femmes de conditions sociales et d’âges différents autour des thèmes de la maternité, de la liberté d’avoir ou pas un enfant, des relations hommes-femmes, parents-enfants, de la vie, de la mort. Stina, pleine de vie et d’enthousiasme, vit une maternité heureuse et attend avec impatience l’arrivée de son enfant qui tarde à se présenter. Elle est le rayon de soleil dans l’univers sombre des deux autres dont la maternité révèle les problèmes familiaux et de couples. Hjørdis a quitté ses parents pour vivre avec un homme qui manifestement ne l’aime pas et la pousse à avorter pour la deuxième fois. La fausse couche de Cécilia l’amène à prendre conscience de son mariage raté et à s’interroger sur son désir d’enfant. En choisissant de supprimer la présence des hommes dont les propos n’apparaissent que dans les discours rapportés des femmes, Hélène Darche renforce la très belle complicité qui va peu à peu s’installer entre ces quatre femmes et les amener à se confier et à se trouver notamment grâce à la bienveillance de Sister Britta. Les quatre comédiennes sont magnifiques de présence et de réalisme. Elles habitent chacune leur personnage avec une grande justesse. De même que le blanc aseptisé du décor est égayé par l’intrusion des bouquets de fleurs, la musique pour violon et piano de Jason Meyer apporte des respirations entre les moments de tension tout comme les fous rires font irruption dans ce drame.

Dans un contexte de régression du droit des femmes et de remise en cause du droit à l’avortement dans de nombreux pays, cette pièce nous rappelle ce que dit Simone de Beauvoir dans Le deuxième Sexe : N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que le droit des femmes soit remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Elle résonne aussi avec la prise de conscience extrêmement récente de la nécessité vitale d’un accompagnement psychologique des femmes après une fausse couche. Un spectacle à voir absolument.

Frédérique Moujart

Jusqu’au 24 mai du dimanche au mardi à 19h15- Théâtre Les Déchargeurs- 3 rue des Déchargeurs, Paris 11ème- Réservation : 01 42 36 00 50 ou sur le site www.les dechargeurs.fr


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