En 2020, l’écrivain et essayiste Martin Page a publié un court essai, Au-delà de la pénétration, qui interrogeait, avec un sérieux pimenté d’humour, la norme de la pénétration dans les rapports hétérosexuels. Le livre a rencontré un joli succès, et il est aujourd’hui porté à la scène par le comédien Yves Heck, qui en a co-réalisé l’adaptation, et signe également la mise en scène.
Il s’agit donc d’un théâtre d’idées, sans intrigue ni personnages, qui a le bon goût de s’en tenir à une durée modeste (environ 1 heure 15), et qui s’avère tout à fait convaincant. Yves Heck éprouve un plaisir communicatif à jouer la réflexion, l’interrogation, la remise en cause. L’adaptation est réussie. Le comédien est seul en scène, mais le spectacle bénéficie de la collaboration d’une costumière, d’une scénographe et d’un compositeur – ingénieur du son.
Sur le fond, le propos s’inscrit dans un ensemble de préoccupations actuelles, et interroge le statut de la pénétration, sous son double aspect de norme du rapport hétérosexuel et de symbole de la domination patriarcale. La réflexion trouve son point de départ dans la parole de nombreuses femmes. C’est donc un discours féministe qui est délivré, mais à distance de tout radicalisme : le féminisme est ici porté par un auteur masculin, dont le texte est joué par un comédien homosexuel ! C’est dire que la pièce refuse toutes les assignations univoques : la libération sexuelle bénéficiera à tous/tes si elle est l’affaire de tous/tes. Loin de tout dogmatisme, le texte se déroule sur un mode toujours interrogatif et ludique. S’il invite à une libération de la sexualité, réalité non pas biologique, mais sociale, culturelle, psychologique et politique, elle n’ignore ni le conservatisme du désir sexuel, ni la complexité des pulsions et des angoisses qui s’y investissent, ni la difficulté de faire évoluer sa sexualité par le seul pouvoir de la réflexion et des mots. Les séquences s’enchaînent au rythme d’une pensée joyeuse et questionnante, jamais démonstrative ni agressive, évitant ainsi de promouvoir une norme contre une autre. On ne s’ennuie pas une seconde, et on sort plein de questions qui, pour être dans l’air du temps, n’en relèvent pas moins d’un propos fort et pertinent.
Pierre Lauret
Jusqu’au 25 novembre, Théâtre de la Reine Blanche, 2bis passage Ruelle 75018 Paris. Les mardis et jeudis à 21h00 (relâche le 7/11), les samedis à 20h00. Réservations : 01 40 05 06 96 ou sur reservation@scenesblanches.com
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