La saison a commencé avec Faune, un spectacle de cirque et de danse de la Compagnie Libertivore dans le Parc Gauthier de L’Isle-sur-la-Sorgue (Cf. « La Garance à Cavaillon – 2025-2026 »). Depuis, Chloé Tournier, la directrice engagée de La Garance, et son équipe nous ont conviés à deux autres spectacles de rue. Garance rime avec Durance et comme le fleuve au cours sauvage, la Scène nationale de Cavaillon aime aller là où la Durance porte son courant, là où la pente a suffisamment de dénivelé pour lui donner de la force ou lui permettre de créer des bassins de rétentions s’offrant à la baignade des esprits et des cœurs. La Garance est le nom d’un élan, d’une audace mais aussi de la rencontre, du partage, d’un bain culturel et collectif. Un théâtre de l’amour.

Le dernier dimanche de septembre, sur la place des Carmes d’Avignon, la chorégraphe Marinette Dozeville présentait Nous sommes / Nos Somos, une création participative franco-brésilienne avec un musicien de Sao Paulo. Non seulement le spectacle s’offrait gratuitement à la population avisée et présente en nombre au rendez-vous ainsi qu’aux passants surpris et réjouis, mais les danseuses et danseurs étaient des amateurs et amatrices accompagnées par une fanfare aux rythmes colorés du Brésil. Festif, joyeux et conviviale, Nous Sommes / Nos somos avait des airs d’utopie collective. Une utopie en acte, éphémère certes, mais pour cette raison parfaitement réalisable et capable de laisser des traces dans les corps et les esprits. Une utopie chorégraphique aussi, car les danseurs et danseuses allaient vers le public en l’invitant à un partage de regard intense ou à une chaîne humaine aux mains bien serrées. Un public heureux d’entrer dans la danse, de participer à la dansité du moment. La place des Carmes, scène urbaine, scène de fête, scène de danse citoyenne qui se compose, se décompose et se recompose dans l’éternité de l’instant – une grande mouvance dansée tous et toutes ensemble. Utopie ? Mais la chose a eu lieu… Une eutopie plutôt, un « lieu de bonheur ». Sans se connaître les uns, les unes, les autres, tous et toutes se souriaient, se prenaient la main ou dansaient à l’unisson d’un collectif qui trop fait défaut dans le faux « vivre ensemble » d’un quotidien miné par l’individualisme et la consommation de masse ; un pur moment de déconsommation, d’action commune et gratuite, valable en elle-même. Nous sommes / Nos Somos affirme le nous, en somme. La rue est le lieu de vie du peuple, La Garance le sait et sait l’investir, ainsi qu’Avignon Terre de culture, les Hivernales – CDCN, l’Institut français, le Festival C’est pas du luxe ! et le Festival Pop Rua de Sao Paulo, partenaires de la fête. La Garance est le nom d’une grande danse avec la rue.

Le premier dimanche d’octobre, La Garance et le Centre Dramatique des Villages du Haut Vaucluse avec la participation de la Mairie de Pernes les Fontaines, offraient les rues et places de ce village provençal aux quarante fontaines, aux Trois Mousquetaires ! Pas exactement ceux d’Alexandre Dumas, ceux de l’adaptation libre et audacieuse du roman par Clara Hédouin et Jade Herbulot du Collectif 49 701. Les huit actrices et acteurs de ces Trois mousquetaires présentaient la Saison 3 de leur série théâtrale initiée en 2015 (les Saisons 1 et 2 ont été jouées à Cavaillon en avril et juillet 2025). Plutôt que d’enfermer l’action et ses rebondissements entre les trois murs d’un plateau de théâtre, c’est dans les rues et places de villages et de villes de toute la France que cette version très originale de notre plus célèbre histoire romanesque se déroule. Plus de décor artificiel, le lieu réel devient décor et paradoxalement, cela décuple l’effet artistique, l’artifice, la convention ! L’action est plus intense au seuil d’une vielle bâtisse de pierres, aux fenêtres d’une maison privée, sur les pavés des places. Ça joue là, ça s’interrompt et on se retrouve pour le prochain épisode, quelques minutes plus tard en un autre lieu du village. Une enthousiaste cohorte de spectateurs avec tabourets pliables sous le bras, s’ébranle alors en suivant son guide. On se pose et très vite l’action reprend… Le village est un grand théâtre ouvert et le patrimoine littéraire fait corps avec celui architectural. Mais pourquoi revisiter ces héros turbulents et chevelus, aussi prompts à la bagarre qu’à la bagatelle? Le Corps des Gascons était une police royale contestée par celle du Cardinal de Richelieu. Dans le roman, la fiction devient friction à haut risque. En effet, Louis XIII a offert à la reine douze ferrets, mais Anne d’Autriche en a offert deux à son ami le Duc de Buckingham. Le puissant cardinal s’en prend à cette femme pour la confondre, cela suffit à déclencher le service chevaleresque de d’Artagnan, Athos, Aramis et Porthos. Outre la misogynie ecclésiastique, c’est le système pernicieux de l’État dans l’État (le premier religieux, le second politique) qui fait les frais du roman de Dumas. Comme par hasard, l’ordre dogmatique et injuste est du côté de l’Église. En face, les mousquetaires font figure d’une anti-police, chevaliers débraillés au grand cœur, prêts à flirter avec la légalité pour servir une grande dame mais aussi pour l’amour d’une lingère, Constance Bonacieux, amante du jeune d’Artagnan. L’adaptation de Clara Hédouin et Jade Herbulot, vise à faire théâtre de la passion, de la fougue, de l’action débridée tout en l’inscrivant dans le milieu humain naturel qu’est celui de l’architecture de villes et villages, au plus près de la vie du peuple. Les deux femmes ont pris des libertés avec le livre tout en conservant une langue relevée et un jeu très soutenu. Un art du contraste entre sérieux et fantaisies ou humour. Une mise en scène qui agence les surprises jusqu’à un final joyeusement parodique où tous les pouvoirs institués, politiques, idéologiques et médiatiques en prennent pour leur grade. À l’heure où le peuple de France est malmené par des gouvernants sans scrupules, le Démos est partout dans la rue ou se rue au théâtre de rue – en attendant de courir sus aux dirigeants incapables ?

« Garance » est le nom d’une plante vivace acclimatée en Vaucluse et dont les racines rhizomiques donnent un colorant rouge sang. « Garance » est aussi le nom d’un personnage d’actrice de théâtre magnifiquement incarné par Arletty dans le film de Marcel Carmé, Les Enfants du Paradis… La Garance, scène nationale de Cavaillon pilotée par Chloé Tournier, est peut-être à la croisée de ces significations, le nom d’une façon d’insuffler au spectacle une vitalité généreuse et une féminité au-delà du genre.

Jean-Pierre Haddad

La Garance, Rue du Languedoc, 84306, Cavaillon. Le site : https://www.lagarance.com/

Faune : https://www.lagarance.com/faune-78835892

Nous sommes / Nos somos : https://www.lagarance.com/nous-sommes

Les Trois Mousquetaires – Saison 3 : https://www.lagarance.com/les-trois-mousquetaires-la-serie-saison-3

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