Depuis toujours des gens fuyant la guerre ou la misère sont arrivés en Europe et des artistes, écrivains et metteurs en scène se sont penchés sur ces situations. Aujourd’hui où la guerre se développe à l’Est de l’Europe, au Moyen-Orient et dans de nombreux pays africains, ces artistes s’interrogent : et si nous devions partir, où et comment serions-nous accueillis ?

La Compagnie Pardès Rimonim développe ici un vrai travail européen à travers à la fois l’équipe artistique, les trois langues utilisées au plateau et l’organisation de la circulation de l’œuvre au sein du réseau européen Bérénice engagé dans la lutte contre les discriminations. L’écrivain et metteur en scène Bertrand Sinapi et la comédienne Amandine Truffy, lors de leur participation au festival international Passages, ont eu l’occasion de rencontrer une autrice syrienne, Wejdan Nassif, réfugiée à Metz après avoir fui la Syrie avec son mari et son fils en 2014. Ils se sont alors rapprochés des acteurs associatifs qui organisent l’accueil des réfugiés, tout en tentant d’aider là-bas les populations civiles, et ont travaillé avec eux. Ils ont décidé de faire entendre la parole de ces réfugiés mais y ont aussi puisé une matière pour nourrir leur imaginaire, y trouvant un élan pour dépasser un théâtre qui aurait pu n’être que documentaire.

Tout commence dans le noir, une voix s’élève, celle de Wejdan Nassif, racontant en arabe (surtitré) le voyage, l’abandon par les passeurs, la peur de mourir noyée avec sa famille, l’arrivée à Metz où finit leur voyage. Trois acteurs, la Française Amandine Truffy, le Français Bryan Polach et une Allemande Katharina Bihler, vont ensuite, en mêlant texte, musique live et travail plastique sur les ombres, nous entraîner dans le cauchemar de Bryan. Il se demande comment il vivrait la brutalité de l’exil, l’incompréhension de la langue et des règles complexes inventées par une administration kafkaïenne dans le pays où il est arrivé. Le spectateur est plongé dans sa situation car il n’y a plus de sous-titres quand l’employée allemande du service de l’immigration lui parle. Les questions se multiplient en rafales, celles que l’on pose aux arrivants mais aussi celles que l’on se pose lorsqu’on voudrait les accueillir, quand les doutes succèdent aux promesses.

La mise en scène de Bertrand Sinapi se met au service du texte qu’il a écrit pour lui donner une couleur qui dépasse le documentaire, sans le perdre. La composition musicale du Luxembourgeois André Mergenthaler interprétée en live par Stefan Scheib donne toute sa profondeur à la voix grave de la contrebasse. Le son enregistré du violoncelle d’ André Mergenthaler, actionné au looper par le contrebassiste, se mêle aux voix des comédiens et aux échos des bruits du monde. La belle voix de Katharina Bihler chantant le lied de Schubert, Le roi des aulnes, apporte l’émotion du souvenir de cet enfant près de se noyer sous le regard impuissant de ses parents. Il y a surtout l’ombre de ces exilés qui ne nous quitte pas, grâce à un très beau travail sur des petits objets (Goury) et leur ombre, révélée par les éclairages tout à fait artisanaux de Clément Bonnin. Des ombres d’hommes en armes, sur des toits d’immeubles en ruines, apparaissent comme apportées par un train minuscule, lointaines et toute petites, mais toujours vivantes dans leurs souvenirs comme dans les nôtres.

Une conversation entre eux et nous, entre leur histoire et la grande histoire, entre leur parole et notre imaginaire.

Micheline Rousselet

Spectacle vu à La Comète, Scène Nationale de Châlons-en-Champagne le 18 avril – du 5 au 7 juin à l’Agora à Metz, du 2 au 21 juillet dans le OFF d’Avignon au 11, le 4 décembre à la MJC Calonne de Sedan (08).

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