Au fil d’un entretien imaginaire, sourire mélancolique aux lèvres, une vieille actrice obscure, Anne-Marie Mille, se souvient. La troupe de comédiens qui venait jouer dans sa petite ville du Nord, sa venue à Paris, son amitié avec Giselle Fayolle, Gigi, plus jolie, plus recherchée pour les premiers rôles, happée par le cinéma mais qui finira elle aussi dans la solitude. Sans aucune méchanceté et avec humour, elle raconte la vie de son amie aux multiples amants et la sienne beaucoup plus terne. Elle évoque les bonheurs plus modestes qui furent les siens, son nom en bas de l’affiche mais que l’on voit bien en raison de la ligne blanche qui le suit ! Elle aime trop le théâtre pour jalouser ses partenaires. Sans amertume elle dit aussi la vieillesse qui vient, les enfants qui se détachent, la solitude qui reste.
Ce monologue, Yasmina Reza, qui le met aussi en scène, l’a écrit en pensant à André Marcon qu’elle retrouve pour la cinquième fois. C’est lui qui incarne Anne-Marie la Beauté. Yasmina Reza ne voyait pas Anne-Marie incarnée par une actrice qui aurait prêté au personnage son visage et son destin. Elle dit qu’elle n’a pu écrire ce texte qu’en faisant incarner le personnage par un homme et c’est très bien ainsi. Il est tous ces acteurs et actrices oubliées et pourtant indispensables au théâtre. On sort de l’identification pour dépasser le cadre d’une existence particulière.
Sur le plateau une méridienne verte où l’acteur s’assied parfois et des murs gris foncé où apparaissent subrepticement des silhouettes imaginées par le peintre Örjan Wikström. Des extraits de musique de Bach et de Brahms habitent parfois les silences que sait si bien ménager André Marcon. En combinaison, pantoufles aux pieds il s’habille lentement, enfilant une jupe, puis un chemisier fleuri, et terminant vers la fin de la pièce par des boucles d’oreille et des escarpins. Il ne singe jamais une femme. Modifiant légèrement sa voix, la rendant moins grave et plus mesurée, détachant chacun des mots il dépasse l’appartenance de genre. Il est simplement humain, bouleversant !
Micheline Rousselet
Jusqu’au 23 décembre au Théâtre de la Colline, 15 rue Malte-Brun, 75020 Paris – du mercredi au samedi à 20h, le mardi à 19h, le dimanche à 16h, relâche le dimanche 5 décembre
Réservations : 01 44 62 52 52 et Billetterie.colline.fr
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