Simon Delétang, le directeur du Théâtre du Peuple à Bussang, fait entrer Sarah Kane à la Comédie Française. Anéantis est la première pièce qu’elle a écrite en 1995 alors qu’elle n’avait que 25 ans. À sa création, elle scandalisa la critique britannique par la violence du fond comme de la forme, avant d’être encensée six ans plus tard après avoir été montée en France avec succès. Quant à la dramaturge ? Cinq pièces écrites en cinq ans et une vie qui se termine à 28 ans, pendue avec ses lacets de chaussures dans les toilettes d’un hôpital.

Sarah Kane dit qu’elle avait envie d’écrire une pièce sur un viol dans une chambre d’hôtel quand elle vit à la télévision une femme de Srebrenica, où la population subissait les horreurs de la guerre civile en Bosnie, qui suppliait l’ONU de venir les aider. Le lien entre ce viol et la guerre lui apparut alors clairement « le premier était la graine et l’autre l’arbre ».

Dans une chambre d’hôtel luxueuse Ian retrouve une femme Cate. Ils se sont aimés et quittés, lui journaliste, image caricaturale d’un baroudeur, misogyne, homophobe, raciste, revolver en main, buvant le gin à la bouteille, elle une femme enfant qui suce son pouce, s’absente dans l’évanouissement ou éclate d’un rire excessif quand la folie du monde lui devient insupportable. Il y aura un viol, une explosion, un soldat entrera dans la chambre. Dès lors le chaos peut s’installer. Tout est dévasté, l’humanité est nue dans toute son horreur.

Les personnages de Sarah Kane sont perdus. Incapables d’exprimer leur amour ils se détruisent et détruisent l’objet de leur amour, ouvrant la porte à la violence monstrueuse du monde. Le grand dramaturge Edward Bond a dit « Cette pièce a changé la réalité parce qu’elle a changé les moyens que nous avons de voir l’innommable dans l’humain » Quant à Sarah Kane elle disait écrire pour échapper à l’enfer, mais une fois l’œuvre terminée, elle s’est dit « c’est l’expression la plus parfaite de cet enfer que je ressentais ».

Simon Delétang, à la fois metteur en scène et scénographe a élaboré une scénographie en trois temps. Avant l’explosion, on est dans une chambre d’hôtel luxueuse avec un décor pompéien reproduisant la fresque de la Villa des Mystères, rappelant une civilisation qui a disparu brusquement comme celle d’Anéantis. Dans la seconde partie la fresque s’entr’ouvre et de fines fentes horizontales laissent apparaître des lignes éblouissantes de projecteurs figurant l’explosion et ses conséquences. Dans la dernière partie la fresque s’est retournée laissant un mur blanc avec écrit en lettres capitales BLASTED, le titre original de la pièce.

Comment mettre en scène une violence aussi paroxystique où il est question de viols, de cannibalisme, d’actes de torture monstrueux ? Il faut une mise à distance. Le metteur en scène se sert entre autres des didascalies. Elles sont dites par une voix féminine off mais ce qui se passe sur le plateau est souvent en décalage. Elle parle de masturbation, mais l’actrice tient la main de l’acteur et les positions des acteurs ne sont pas celles indiquées. Les spectateurs sont contraints de faire appel à leur imagination et ce sont eux qui deviennent responsables des images qu’ils se forgent et qui s’imprimeront dans leur mémoire.

Christian Gonon est Ian, masquant sa peur de la mort et de la solitude sous un air de macho dominateur misogyne, raciste et homophobe. Loïc Corbery incarne le soldat qui compense ses frustrations et sa souffrance par une violence dévastatrice. Enfin Élise Lhomeau campe une Cate complexe qui garde dignité et humanité dans ce monde explosé.

Même si, à la fin, un petit tournesol émerge timidement du trou dans le plancher qui a avalé les morts, on ne sort pas indemne de cet enfer. Une grande mise en scène pour une pièce puissante.

Micheline Rousselet

Jusqu’au 5 décembre à 18h30 au Studio Théâtre de la Comédie Française – Galerie du Carrousel du Louvre, 99 rue de Rivoli, 75001 Paris – Réservations : 01 44 58 98 54

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